En
1814, dans un traité avec l'Angleterre, on stipule que, pendant cinq ans encore, les Français pourront faire la traite des Nègres, c'est-à-dire, voler ou acheter des hommes en Afrique, les arracher à leur terre natale, à tous les objets de leurs affections, les porter aux Antilles, où, vendus comme des bêtes de somme, ils arroseront de leurs sueurs des champs dont les fruits appartiendront à d'autres, et traîneront une pénible existence, sans autre consolation, à la fin de chaque jour, que d'avoir fait un pas de plus vers le tombeau. […]
Si l'on en croit beaucoup de planteurs, les esclaves, travaillant sous le fouet d'un commandeur, étaient plus heureux que nos paysans d'Europe, quoique jamais il n'ait pris envie, même à aucun de ces prolétaires des Colonies, nommés Petits Blancs, d'échanger sa situation avec celle d'un Noir ; et, en dépit des arguments
par lesquels on veut convaincre ces Noirs de leur bonheur, ils s'obstinent à ne pas y croire.
Notre intérêt, disent les Colons, n'est-il pas de ménager nos esclaves ? Les charretiers de Paris tiennent précisément le même langage en parlant de leurs chevaux qui, par une mort anticipée, périssent excédés
d'inanition, de fatigue et de coups. […] Quel moyen de raisonner avec des hommes qui, si l'on invoque la religion, la charité, répondent en parlant de cacao, de balles de coton, de balance du commerce ; car, vous disent-ils, que deviendra le commerce si l'on supprime la traite ? Trouvez-en qui dise : En la continuant que deviendront la justice et l'humanité ? […]
Si les habitants de
Haïti avaient des représentants au congrès de Vienne, ils feraient observer, sans doute, que le droit de la France à les asservir est aussi illusoire que celui qu'ils
s'arrogeraient de vouloir asservir la France, et qu'un peuple qu'on veut
subjuguer rentre dans l'état de nature contre ses agresseurs.
Il serait honorable pour le gouvernement français qu'il renonçât spontanément à la clause qui concerne la traite : il est douloureux de penser que cette stipulation, la dernière sans doute de ce genre, souillera nos
annales.
Avilir les hommes, c'est l'infaillible moyen de les rendre vils. L'esclavage dégrade à la fois les maîtres et les esclaves, il endurcit les coeurs, éteint la moralité et prépare à tous des catastrophes.
Fasse le ciel qu'on voie les puissances de l'Europe, d'un concert unanime, déclarer que la traite étant une piraterie, ceux qui tenteraient de la faire doivent être saisis, jugés et punis comme
forbans, admettre comme principe fondamental l'émancipation progressive des hommes de toute couleur, proscrire à jamais un commerce qui a fait couler tant de larmes, tant de sang et dont le souvenir
perpétué dans
les fastes de l'histoire est la honte de l'Europe !