Une vieille maladie frappe à nouveau la France : la « commémorationnite ». [...]
Nul ne conteste, évidemment, la légitimité et l'utilité de la célébration des événements majeurs de notre histoire. À condition, toutefois, qu'elle produise du sens, fasse vivre le passé au présent et en privilégie les leçons universelles plutôt qu'individuelles ou communautaires.
[... Les commémorations récentes] misaient sur l'émotion plutôt que sur la réflexion : rares furent, par exemple, les émissions télévisées à donner la parole aux historiens pour revisiter l'événement, synthétiser les acquis des recherches les plus récentes, en problématiser la signification contemporaine. [...]
De cette vision
tronquée et truquée du passé, le Sud fait également les frais. À quoi sert l'adoption de la loi Taubira (21 mai 2001) reconnaissant la traite et l'esclavage comme un « crime contre l'Humanité » si les manuels scolaires comme les programmes de télévision, la littérature comme le cinéma continuent de minorer un phénomène qui, dix siècles durant, a saigné tout un continent en déportant de 28 à 37 millions d'hommes, via la mer Rouge, les ports de l'océan Indien, les caravanes arabes ou vers l'Amérique ?
Et cette
amnésie sélective touche l'histoire moderne du tiers-monde comme son histoire ancienne. Les falsificateurs n'en ont d'ailleurs nullement honte. Au contraire, ils théorisent leur parti pris,
à l'instar de ces députés français nostalgiques qui introduisirent
nuitamment et
subrepticement – dans une loi adoptée le 23 février 2005 pour rendre hommage « aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France » dans ses colonies – un article 4 exigeant que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». [...]
Il est juste de dire que la présence de la France outre-mer ne se réduit pas à ses crimes... à condition de ne pas passer ces derniers par pertes et profits et de ne pas taire le caractère fondamentalement pervers du système. Dont les horreurs,n'étaient pas des « bavures », mais des composantes. [...]
À l'ordre du jour figure donc un combat pour l'histoire : pour faire vivre les pages oubliées du passé, pour dégager les leçons du chemin parcouru par l'humanité, pour transmettre ce patrimoine dans lequel plongent nos racines. Il s'agit, ni plus ni moins, de passer le flambeau d'une génération à l'autre, à un moment où ce relais devient plus difficile.
À chacun, dans cette entreprise, ses responsabilités. Les institutions de la République ont évidemment la leur : si l'État ne doit pas s'ingérer dans le contenu de l'histoire, il lui revient en revanche de soutenir plus massivement l'effort de recherche et de vulgarisation historiques. Beaucoup dépend naturellement de l'éducation nationale, à travers le renouvellement de ses manuels scolaires et l'engagement de ses professeurs. Mais ces efforts n'auraient guère d'efficacité si les médias les contrecarraient par leur approche partielle, partiale et surtout superficielle.