Les Hommes Vrais anciens ignoraient l'amour de la vie et l'horreur de la mort.
Leur entrée en scène, dans la vie, ne leur causait aucune joie ; leur rentrée dans les
coulisses, à la mort, ne leur causait aucune horreur. Calmes ils venaient, calmes ils
partaient, doucement, sans secousse, comme en planant. Se souvenant seulement
de leur dernier commencement (naissance), ils ne se préoccupaient pas de leur
prochaine fin (mort). Ils aimaient cette vie tant qu'elle durait, et l'oubliaient au
départ pour une autre vie, à la mort. Ainsi leurs sentiments humains ne contrecarraient
pas le Principe1 en eux ; l'humain en eux ne gênait pas le céleste. Tels étaient
les Hommes Vrais. – Par suite, leur cœur était ferme, leur attitude était recueillie,
leur mine était simple, leur conduite était tempéréea, leurs sentiments étaient
réglés. Ils faisaient, en toute occasion, ce qu'il fallait faire, sans confier à personne
leurs motifs intérieurs. Ils faisaient la guerre sans haïr, et du bien sans aimer.
Celui‑là n'est pas un Sage, qui aime à se communiquer, qui se fait des amis, qui
calcule les temps et les circonstances, qui n'est pas indifférent au succès et à l'insuccès,
qui expose sa personne pour la gloire ou pour la faveur. […] – Les Hommes
Vrais anciens étaient toujours équitables, jamais aimables ; toujours modestes,
jamais flatteurs. Ils tenaient à leurs sens, mais sans dureté. Leur mépris pour tout
était manifeste, mais non affecté. Leur extérieur était paisiblement joyeux. Tous
leurs actes paraissaient naturels et spontanés. Ils inspiraient l'affection par leurs
manières, et le respect par leurs vertus. Sous un air de condescendance apparente,
ils se tenaient fièrement à distance du vulgaire. Ils affectionnaient la retraite, et ne
préparaient jamais leurs discours. – Pour eux, les supplices étaient l'essentiel dans
le gouvernement, mais ils les appliquaient sans colère. Ils tenaient les ritesb pour
un accessoire, dont ils s'acquittaient autant qu'il fallait pour ne pas choquer le
vulgaire. Ils tenaient pour science de laisser agir le temps, et pour vertu de suivre le
flot. Ceux qui jugèrent qu'ils se mouvaient activement se sont trompés. En réalité
ils se laissaient aller au fil du temps et des événements. Pour eux, aimer et haïr,
c'était tout un ; ou plutôt, ils n'aimaient ni ne haïssaient. Ils considéraient tout
comme essentiellement unc, à la manière du ciel, et distinguaient artificiellement
des cas particuliers, à la manière des hommes. Ainsi, en eux, pas de conflit entre
le céleste et l'humain. Et voilà justement ce qui fait l'Homme Vrai.
La tempérance, c'est‑à‑dire le refus
de toute forme d'excès, est également
chez les Grecs de l'Antiquité
(Aristote par exemple) le principe
même de la vertu.
Il s'agit ici des rites des religions et
traditions chinoises antiques.
ci‑dessous sur le Tao.