Sire,
Dans un temps où les différents ordres de l'État1 sont occupés par leurs intérêts, où chacun cherche à faire valoir ses titres et ses droits, où les uns se tourmentent pour rappeler les siècles de la servitude et de l'anarchie, où les autres s'efforcent de secouer les derniers chainons qui les attachent encore à un impérieux reste de féodalité, les femmes, objets continuels de l'admiration et du mépris des hommes, les femmes, dans cette commune agitation, ne pourraient-elles pas aussi faire entendre leur voix ?
Exclues des Assemblées nationales pour des lois trop bien cimentées pour espérer les enfreindre2, elles ne vous demandent pas, Sire, la permission d'envoyer leurs députés aux États généraux [...].
Nous préférons, Sire, porter notre cause à vos pieds : ne voulant rien obtenir que de votre cœur, c'est à lui que nous adressons nos plaintes et confions nos misères.
Les femmes du tiers état naissent presque toutes sans fortune ; leur éducation est très négligée ou très vicieuse [...]. Les premiers devoirs de la religion remplis, on leur apprend à travailler ; parvenues à l'âge de quinze ou seize ans, elles peuvent gagner cinq ou six sous par jour. Si la nature leur a refusé la beauté, elles épousent, sans dot3, de malheureux artisans, végètent péniblement dans le fond des provinces, et donnent la vie à des enfants qu'elles sont hors d'état d'élever. Si, au contraire, elles naissent jolies, sans culture, sans principes, sans idée de morale, elles deviennent la proie du premier séducteur, font une première faute, viennent à Paris ensevelir la honte, finissent par l'y perdre entièrement et meurent victimes du libertinage.