Brissot1 vint nous visiter […]. Il fut même arrangé que l'on viendrait chez moi quatre fois la semaine dans la soirée, parce que j'étais sédentaire, bien logée, et que mon appartement se trouvait placé de manière à n'être fort éloigné d'aucun de ceux qui composaient ces petits comités.
Cette disposition me convenait parfaitement ; elle me tenait au courant des choses auxquelles je prenais un vif intérêt ; elle favorisait mon gout pour suivre les raisonnements politiques et étudier les hommes. Je savais quel rôle convenait à mon sexe, et je ne le quittai jamais. Les conférences se tenaient en ma présence sans que j'y prisse aucune part ; placée hors du cercle et près d'une table, je travaillais des mains, ou faisais des lettres, tandis que l'on délibérait ; mais eussé‑je expédié dix missives, ce qui m'arrivait quelquefois, je ne perdais pas un mot de ce qui se débitait2, et il m'arrivait de me mordre les lèvres pour ne pas dire le mien3. […] Là, on examinait l'état des choses, celui de l'Assemblée, ce qu'il conviendrait de faire, comment on pourrait le proposer, les intérêts du peuple, la marche de la cour, la tactique des individus. Ces conférences m'intéressaient beaucoup, et je ne les aurais pas manquées, quoique je ne m'écartasse jamais du rôle qui convenait à mon sexe.
[…]
[Mon mari] devint ministre : je ne me mêlai point de l'administration ; mais s'agissait‑il d'une circulaire, d'une instruction, d'un écrit public et important, nous en conférions suivant la confiance dont nous avions l'usage et, pénétrée de ses idées, nourrie des miennes, je prenais la plume que j'avais plus que lui le temps de conduire.
[…]
En vérité, je suis bien ennuyée d'être une femme : il me fallait une autre âme, ou un autre sexe, ou un autre siècle. Je devais naitre femme spartiate ou romaine, ou du moins homme français. [...] Mon esprit et mon cœur trouvent de toute part les entraves de l'opinion, les fers des préjugés, et toute ma force s'épuise à secouer vainement mes chaines. Ô liberté, idole des âmes fortes, aliment des vertus, tu n'es pour moi qu'un nom !