ALCESTE.
– J'ai le défaut
D'être un peu plus sincère, en cela, qu'il ne faut.
ORONTE. – C'est ce que je demande, et j'aurais lieu de plainte,
Si, m'exposant à vous, pour me parler sans feinte,
Vous alliez me trahir et
me déguiser1 rien.
ALCESTE. – Puisqu'il vous plaît ainsi, Monsieur, je le veux bien.
[
Oronte lit son poème.]
ALCESTE. – Monsieur, cette matière est toujours délicate,
Et, sur le bel esprit, nous aimons qu'on nous flatte :
Mais un jour, à quelqu'un, dont je tairai le nom,
Je disais, en voyant des vers de sa façon,
Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours
grand empire2
Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire. […]
ORONTE. – Est‑ce qu'à mon sonnet vous trouvez à redire ?
ALCESTE. – Je ne dis pas cela ; mais, pour ne point écrire,
Je lui mettais aux yeux comme, dans notre temps,
Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.
ORONTE. – Est‑ce que j'écris mal ? et leur ressemblerais‑je ?
ALCESTE. – Je ne dis pas cela ; mais, enfin, lui disais‑je,
Quel besoin, si pressant, avez‑vous de rimer ?
Et qui, diantre, vous pousse à vous faire imprimer ? […]
C'est ce que je tâchai de lui faire comprendre.
ORONTE. – Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre.
Mais ne puis‑je savoir ce que dans mon sonnet…
ALCESTE. – Franchement, il est bon à mettre au
cabinet3. […]
ORONTE. – Et moi, je vous soutiens que mes vers sont fort bons.
ALCESTE. – Pour les trouver ainsi, vous avez vos raisons.
Mais vous trouverez bon que j'en puisse avoir d'autres
Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres.
ORONTE. – Il me suffit de voir que d'autres en font cas.
ALCESTE. – C'est qu'ils ont l'art de feindre ; et moi, je ne l'ai pas.
ORONTE. – Croyez‑vous donc avoir tant d'esprit en partage ?
ALCESTE. –
Si je louais vos vers, j'en aurais davantage.
ORONTE. – Je me passerai fort que vous les approuviez.
ALCESTE. – Il faut bien, s'il vous plaît, que vous vous en passiez.
ORONTE. – Je voudrais bien, pour voir, que, de votre manière
Vous en composassiez sur la même matière.
ALCESTE. – J'en pourrais, par malheur, faire d'aussi méchants ;
Mais je me garderais de les montrer aux gens.
ORONTE. – Vous me parlez bien ferme ; et cette
suffisance4…
ALCESTE. – Autre part que chez moi cherchez qui vous encense.
ORONTE. – Mais, mon petit Monsieur,
prenez‑le un peu moins haut5.
ALCESTE. – Ma foi, mon grand Monsieur, je le prends comme il faut.