DORANTE. – Vous croyez donc, monsieur Lysidas, que tout l'esprit et toute
la beauté sont dans les poèmes1
sérieux, et que les pièces comiques sont des
niaiseries qui ne méritent aucune louange ?
URANIE. – Ce n'est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute,
est quelque chose de beau quand elle est bien touchée ; mais la comédie a ses
charmes, et je tiens que l'une n'est pas moins difficile à faire que l'autre.
DORANTE. – Assurément, madame ; et quand, pour la difficulté, vous mettriez
un plus du côté de la comédie, peut‑être que vous ne vous abuseriez pas. Car
enfin, je trouve qu'il est bien plus aisé de se guinder2 sur de grands sentiments,
de braver en vers la fortune3, accuser les destins, et dire des injures aux dieux, que
d'entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement
sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous
faites ce que vous voulez ; ce sont des portraits à plaisir, où l'on ne cherche point
de ressemblance ; et vous n'avez qu'à suivre les traits d'une imagination qui se
donne l'essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais
lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. On veut que
ces portraits ressemblent ; et vous n'avez rien fait, si vous n'y faites reconnaitre
les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être
point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens, et bien écrites ; mais ce
n'est pas assez dans les autres, il y faut plaisanter ; et c'est une étrange entreprise
que celle de faire rire les honnêtes gens. [...]
LYSIDAS. – Ceux qui possèdent Aristote et Horace voient d'abord, madame,
que cette comédie pèche contre toutes les règles de l'art.
DORANTE. – Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est
pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un
bon chemin. [...] Car enfin, si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas,
et que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudrait, de nécessité,
que les règles eussent été mal faites. Moquons‑nous donc de cette chicane4, où
ils veulent assujettir5
le gout public, et ne consultons dans une comédie que
l'effet qu'elle fait sur nous. Laissons‑nous aller de bonne foi aux choses qui nous
prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous
empêcher d'avoir du plaisir.