THISBÉ, seule. – […] Dieux ! Je vois par la terre un corps qui semble mort.
Mais pourquoi m'effrayer ? C'est Pyrame qui dort.
Pour divertir l'ennui de son attente oisive,
Il repose au doux bruit de cette source vive.
Ce sera maintenant à lui de m'accuser.
Mais ce lieu dur et froid, mal propre à reposer,
Que déjà la rosée a rendu tout humide,
M'oblige à l'éveiller. Dieux ! Que je suis timide1 !
J'ai son contentement et son repos si cher
Que ma voix seulement a peur de le fâcher ;
Il dort si doucement qu'on ne saurait à peine
Discerner parmi l'air le bruit de son haleine.
Mais d'où vient qu'immobile et froid dessous ma main
Il semble mort ? Pyrame ! Ô Dieux ! J'appelle en vain,
Il ne respire plus, ce beau corps est de glace.
Hélas ! Je vois la mort peinte dessus sa face ;
D'une éternelle nuit son bel œil est couvert ;
Je vois d'un large coup son estomac ouvert2.
Hé ! Ne meurs pas si tôt, ouvre un peu la paupière,
Respire encore un coup, je mourrai la première,
Ne t'en va point sans moi, ne me fais point ce tort.
Tu ne me réponds rien, mon cœur ! Tu n'es pas mort,
Les Dieux ne meurent point, la nature est trop sage
Pour laisser ruiner son plus aimable ouvrage.
Mais, ô faible discours ! Ô faux soulagement !
La perte que je fais m'ôte le jugement.
Pyrame ne vit plus, ha ! Ce soupir l'emporte.
Comment ! Il ne vit plus et je ne suis pas morte ?
Pyrame, s'il te reste encore un peu de jour,
Si ton esprit me garde encore un peu d'amour,
Et si le vieux Charon3 touché de ma misère
Retarde tant soit peu sa barque à ma prière,
Attends‑moi, je te prie, et qu'un même trépas
Achève nos destins ; je m'en vais de ce pas.
Dans la mythologie grecque, Charon
fait passer en barque les âmes des
défunts vers les Enfers.