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Repères - Histoire
Partie 1 • Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
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La fin’amor et les romans de chevalerie
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Partie 2 • La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle
L’humanisme à la Renaissance
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Les philosophes des Lumières
Partie 3 • Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle
La tragédie classique
La comédie classique
Le théâtre au siècle des Lumières
Le drame romantique et le théâtre de boulevard
Les réécritures des mythes antiques
Du théâtre de la cruauté au théâtre de l’absurde
Le théâtre engagé
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Ovide, Les Métamorphoses (Ier s. av. J.‑C.)

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Texte

Pyrame, le plus beau des jeunes gens de son âge, et Thisbé, qui éclipsait toutes les vierges de l'Orient, habitaient des maisons voisines, dans le lieu où, dit‑on, Sémiramis1 entoura sa ville superbe de remparts cimentés de bitume. La cause de leur première liaison et de ses progrès fut ce voisinage. Le temps accrut leur amour. Ils auraient allumé le flambeau d'un hymen2 légitime, si leurs parents ne s'y étaient opposés. Néanmoins ceux‑ci ne purent empêcher que le même feu n'embrasât leurs cœurs également épris. Leur amour n'était connu de personne : il s'exprimait par des gestes et par des signes. Mais, plus leur flamme était cachée, plus l'incendie était violent.

Une fente légère existait dans le mur qui séparait leur demeure, depuis le jour où ce mur fut construit. De temps immémorial personne ne l'avait remarqué. Mais que ne voit pas l'amour ? Vos yeux, tendres amants, furent les premiers à la découvrir ; elle servit de passage à votre voix, et par elle un doux murmure vous transmit sans danger vos mille tendres paroles. Souvent Thisbé d'un côté et Pyrame de l'autre s'arrêtaient près de cette ouverture pour respirer tour à tour leur haleine. « Mur jaloux, disaient‑ils, pourquoi t'opposer à notre amour ? Qu'en coûterait‑il de permettre à nos bras de s'unir ? Si ce bonheur est trop grand, pourquoi ne pas laisser du moins un libre passage à nos baisers ? Cependant nous ne sommes pas ingrats : oui, c'est par toi, nous aimons à le reconnaître, que le langage de l'amour parvient à nos oreilles. » Ils échangeaient ainsi leurs plaintes ; quand la nuit venait, ils se disaient adieu, et chacun de son côté imprimait sur le mur des baisers qui ne pouvaient arriver au côté opposé.

Le lendemain, à peine l'Aurore a‑t‑elle chassé les astres de la nuit, à peine les rayons du soleil ont‑ils dissipé la rosée qui humectait le gazon, qu'ils se retrouvent au rendez‑vous. Après de longues plaintes murmurées à voix basse, ils décident qu'à la faveur du silence de la nuit ils tenteront de tromper leurs gardes et de quitter leur demeure, résolus, dès qu'ils en auront franchi le seuil, à sortir de la ville. Afin de ne pas errer à l'aventure dans la campagne, ils devront se réunir près du tombeau de Ninus et se cacher sous l'arbre qui l'ombrage. Là, en effet, sur les bords d'une fraîche fontaine, s'élevait un grand mûrier chargé de fruits plus blancs que la neige. Ce projet les comble de joie. Le jour, qui semble fuir lentement, se plonge enfin dans les flots, et de ces mêmes flots la nuit s'élance. Thisbé profite des ténèbres pour faire tourner adroitement la porte sur ses gonds, et sort en trompant ses gardes. Couverte d'un voile, elle parvient au tombeau de Ninus, et s'arrête sous l'arbre désigné. L'amour lui donne de l'audace. Tout à coup une lionne, la gueule encore rougie du sang des bœufs, va étancher sa soif à la source voisine. Aux rayons de la lune, Thisbé la voit au loin, et d'un pas tremblant, elle fuit pour se cacher dans un antre obscur3. En fuyant, elle laisse tomber le voile qui flottait sur ses épaules. La farouche lionne, après s'être désaltérée dans la fontaine, se dirige vers la forêt. Elle rencontre sur son chemin le léger vêtement, et le déchire de sa gueule ensanglantée.

Pyrame, sorti plus tard, remarque les traces de la bête féroce profondément empreintes sur le sable. La pâleur couvre son front. Bientôt il aperçoit aussi le voile de Thisbé teint de sang : « La même nuit, dit‑il, verra mourir deux amants ; et cependant, Thisbé méritait une longue vie ! Le criminel, c'est moi. Oui, infortunée, c'est moi qui t'ai perdue, moi qui t'ai conseillé de venir, la nuit, dans ces lieux redoutables ; et je ne m'y suis point rendu le premier ! Ah ! mettez mon corps en lambeaux et déchirez sous vos cruelles morsures mon cœur coupable, lions qui habitez ce roc sauvage. Mais le lâche seul désire la mort. » À ces mots, il emporte le voile de Thisbé, le dépose à l'ombre de l'arbre désigné, et, couvrant ce vêtement chéri de ses larmes et de ses baisers, il s'écrie : « Reçois aussi mon sang ! » Aussitôt il plonge dans son cœur le fer dont il est armé, et, en mourant, le retire de sa blessure encore fumante. Il tombe à la renverse, et son sang jaillit dans les airs. Ainsi le tuyau de plomb, quand il est fendu, lance en jets élevés l'eau qui s'échappe en sifflant par l'étroite ouverture. Les fruits de l'arbre, teints par cette pluie de sang, deviennent noirs, et sa racine, qui en est humectée, rougit la mûre suspendue à ses rameaux.

Thisbé n'est pas encore libre de toute crainte ; et cependant, pour ne pas causer à son amant une attente trompeuse, elle revient et le cherche avec ardeur. Elle brûle de lui raconter les terribles dangers qu'elle a courus. Elle reconnaît le lieu ; mais le changement survenu dans l'arbre et dans la couleur du fruit lui cause de l'incertitude. Elle hésite, ne sachant plus si c'est le même arbre. Soudain elle aperçoit un corps palpitant sur la terre ensanglantée. Elle recule, plus pâle que l'albâtre, et frémit comme la mer quand un souffle léger en ride la surface. Bientôt, reconnaissant l'objet de son amour, elle frappe sa poitrine de coups affreux qui résonnent au loin, s'arrache les cheveux, presse Pyrame dans ses bras, pleure sur sa blessure, et mêle ses larmes avec son sang. Puis, imprimant des baisers sur son front glacé : « Pyrame, s'écrie‑t‑elle, quel malheur t'a ravi à ma tendresse ? Pyrame, réponds‑moi. Cher ami, c'est Thisbé qui t'appelle. Entends sa voix et relève la tête. » Au nom de Thisbé, il ouvre ses paupières déjà appesanties par la mort, revoit son amante, et les referme. Thisbé reconnaît son voile, et voit le fourreau d'ivoire sans son épée : « Ah ! dit‑elle, c'est par amour pour moi que tu t'es donné la mort, infortuné ! Moi aussi, j'ai un bras assez courageux pour trouver le trépas4. Oui, l'amour me donnera assez de force pour me percer d'un glaive. Je te suivrai. On dira : Elle fut la cause déplorable de sa perte et l'accompagna dans le tombeau. Hélas ! la mort seule pouvait t'éloigner de moi ; elle ne le pourra plus. Ah ! du moins exaucez cette prière, vous trop malheureux parents de Thisbé et de Pyrame. L'amour et la dernière heure les ont enfin réunis. Ne leur enviez pas le bonheur de reposer sous la même tombe. Et toi, arbre dont les rameaux ne couvrent maintenant que les restes de Pyrame, et qui vas bientôt couvrir aussi les miens, porte toujours les marques de notre trépas. Que tes fruits, emblème de deuil, attestent à jamais que deux amants t'ont baigné de leur sang ! » Elle dit, et enfonce dans son cœur la pointe de l'épée toute fumante encore du sang de Pyrame.

Leurs vœux furent entendus des dieux et de leurs parents. Le fruit de l'arbre, parvenu à sa maturité, prit la couleur du sang, et leurs cendres furent enfermées dans la même urne.
Chant IV, d'après la traduction du latin par Étienne Gros, 1866.
1. Reine légendaire de Babylone.
2. Mariage.
3. Une caverne, une grotte.
4. La mort.
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Doc. 1

John William Waterhouse, Thisbé, 1909, huile
sur toile, 97 × 59 cm, collection privée
John William Waterhouse, Thisbé, 1909, huile sur toile, 97 × 59 cm, collection privée.
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Doc. 2

Laurent de La Hyre, Pyrame et Thisbé, vers 1624-1628, huile sur toile,
musée Fabre, Montpellier
Laurent de La Hyre, Pyrame et Thisbé, vers 1624‑1628, huile sur toile, musée Fabre, Montpellier.
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Éclairage

Le mythe de Pyrame et Thisbé nous est rapporté par le poète latin Ovide. Il sera repris de très nombreuses fois, dans tous les arts et à toutes les époques. Pour la littérature baroque, on peut mentionner notamment Théophile de Viau () et William Shakespeare (Roméo et Juliette).

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