SIGISMOND. – [...] Nous sommes dans un monde si étrange que vivre n'est
que rêver, et que l'expérience m'enseigne que l'homme qui vit rêve ce qu'il
est, jusqu'au moment où il s'éveille. Le roi rêve qu'il est roi, et vivant dans
son illusion, il commande, il dispose, il gouverne. Et ces ovations qu'il reçoit
et qui ne lui sont que prêtées, s'inscrivent dans le vent et en cendres la mort
les change, cruelle infortune ! Et que l'on veuille encore régner, quand il faut
finir par s'éveiller dans le sommeil de la mort ! Le riche rêve de sa richesse qui
lui donne tant de soucis ; le pauvre rêve qu'il subit sa misère et sa pauvreté.
Il rêve, celui qui commence à s'élever ; il rêve, celui qui s'agite et sollicite ;
il rêve, celui qui offense et outrage. Dans ce monde, en conclusion, chacun
rêve ce qu'il est, sans que personne ne s'en rende compte. Moi, je rêve que
je suis ainsi, chargé de ces fers1, et j'ai rêvé que je me voyais dans une autre
condition plus flatteuse. Qu'est‑ce que la vie ? – Une fureur. Qu'est ce que la
vie ? – Une illusion, une ombre, une fiction, et le plus grand bien est peu de
chose, car toute la vie est un songe, et les songes mêmes ne sont que songes.