L'histoire, si on veut la considérer comme une science, diffère absolument des sciences physiques et mathématiques. Dans les sciences physiques, les faits subsistent ; ils sont vivants, et on peut les représenter au spectateur et au témoin. Dans l'histoire, les faits n'existent plus ; ils sont morts, et l'on ne peut les ressusciter devant le spectateur, ni les confronter au témoin. Les sciences physiques s'adressent immédiatement aux sens ; l'histoire ne s'adresse qu'à l'imagination et à la mémoire : d'où résulte entre les faits physiques, c'est‑à‑dire existants, et les faits historiques, c'est‑à‑dire racontés, une différence importante quant à la croyance qu'ils peuvent exiger. Les faits physiques portent avec eux l'évidence et la certitude, parce qu'ils sont sensibles et se montrent en personne, sur la scène immuable de l'Univers : les faits historiques, au contraire, parce qu'ils n'apparaissent qu'en fantômes dans la glace de l'entendement1 humain où ils se plient aux projections les plus bizarres, ne peuvent arriver qu'à la vraisemblance et à la probabilité. […]
Le mot histoire paraît avoir été employé chez les anciens dans une acception2 assez différente de celle des modernes : les Grecs, ses auteurs, désignaient par lui une perquisition, une recherche faite avec soin. […] Chez les modernes, au contraire, le mot histoire a pris le sens de narration, de récit […]. Pour nous le mot histoire sera toujours synonyme de ceux de recherche, examen, étude des faits.
L'histoire n'est qu'une enquête de faits ; et ces faits ne nous parvenant que par intermédiaires, ils supposent un interrogatoire, une audition de témoins. L'historien qui a le sentiment de ses devoirs, doit se regarder comme un juge qui appelle devant lui les narrateurs et les témoins des faits, les confronte, les questionne, et tâche d'arriver à la vérité, c'est‑à‑dire l'existence du fait, tel qu'il a été.