Chateaubriand, partisan de la royauté, apprend que le roi Charles X a ordonné la
suppression de la liberté de la presse par ordonnances, le 26 juillet 1830. Il analyse
dans ses mémoires les raisons et les implications d'un tel choix.
Aussitôt qu'il fit jour, le 28, je lus, relus et commentai les ordonnances. Le rapport au
roi1
servant de
prolégomènes2 me frappait de deux manières : les observations sur les inconvénients de la presse étaient justes ; mais, en même temps, l'auteur de ces observations montrait une ignorance complète de l'état de la société actuelle.
Sans doute les ministres, depuis 1814, à quelque opinion qu'ils aient appartenu, ont été harcelés par les journaux ; sans doute la presse tend à
subjuguer3 la souveraineté, à forcer la royauté et les
Chambres4 à lui obéir ; sans doute, dans les derniers jours de la Restauration, la presse, n'écoutant que sa passion, a, sans égard aux intérêts et à l'honneur de la France, attaqué l'
expédition d'Alger5, développé les causes, les moyens, les préparatifs, les chances d'un non-succès ; elle a divulgué les secrets de l'armement, instruit l'ennemi de l'état de nos forces, compté nos troupes et nos vaisseaux, indiqué jusqu'au point de débarquement. [...]
Tout cela est vrai et odieux ; mais le
remède6 ? La presse est un élément jadis ignoré, une force autrefois inconnue, introduite maintenant dans le monde ;
c'est la parole à l'état de foudre ; c'est l'électricité sociale. Pouvez‑vous faire qu'elle n'existe pas ? Plus vous prétendrez la comprimer, plus l'explosion sera violente. Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle, comme vous vivez avec la machine à vapeur. Il faut apprendre à vous en servir, en la dépouillant de son danger, soit qu'elle s'affaiblisse peu à peu par un usage commun et domestique, soit que vous assimiliez graduellement vos mœurs et vos lois aux principes qui régiront désormais l'humanité. Une preuve de l'impuissance de la presse dans certains cas se tire du reproche même que vous lui faites à l'égard de l'expédition d'Alger ; vous l'avez pris, Alger, malgré la liberté de la presse [...].