Georges Duroy est un apprenti journaliste. Il doit écrire un article sur l'Algérie, mais il éprouve de grandes difficultés. Le rédacteur politique, Forestier, lui demande alors d'interroger un général chinois et un rajah indien, avec un collègue, Saint-Potin.
– C'est votre nom, Saint-Potin ?
L'autre répondit avec simplicité :
– Non, je m'appelle Thomas. C'est au journal qu'on m'a surnommé Saint-Potin.
Et Duroy, payant les consommations, reprit :
– Mais il me semble qu'il est tard et que nous avons deux
nobles seigneurs à visiter.
Saint-Potin se mit à rire :
– Vous êtes encore naïf, vous ! Alors vous croyez comme ça que
je vais aller demander à ce Chinois et à cet Indien ce qu'ils pensent
de l'Angleterre ? Comme si je ne le savais pas mieux qu'eux, ce
qu'ils doivent penser pour les lecteurs de la
Vie Française. J'en
ai déjà interviewé cinq cents de ces Chinois, Persans, Hindous,
Chiliens, Japonais et autres. Ils répondent tous la même chose,
d'après moi. Je n'ai qu'à reprendre mon article sur le dernier venu
et à le copier mot pour mot. Ce qui change, par exemple, c'est leur
tête, leur nom, leurs titres, leur âge, leur suite. [...] Mais sur ce sujet
le concierge de l'hôtel Bristol et celui du Continental m'auront
renseigné en cinq minutes. Nous irons à pied jusque‑là en fumant
un cigare. Total : cent sous de voiture à réclamer au journal. Voilà,
mon cher, comment on s'y prend quand on est pratique.
Duroy demanda :
– Ça doit rapporter bon d'être reporter dans ces conditions-là.
Le journaliste répondit avec mystère :
– Oui, mais rien ne rapporte autant que les
échos1, à cause des réclames déguisées.
[
Duroy va ensuite chez Mme Forestier dans l'espoir qu'elle l'aide à continuer son
article, mais M. Forestier est là et le renvoie chez lui.]
À peine rentré, la colère l'excitant, il se mit à écrire.
Il continua l'aventure commencée par Mme Forestier, accumulant des détails
de roman feuilleton, des péripéties surprenantes et des descriptions ampoulées,
avec une maladresse de style de collégien et des formules de sous-officier. En une
heure, il eut terminé une chronique qui ressemblait à un chaos de folies, et il la
porta, avec assurance, à la
Vie Française.
La première personne qu'il rencontra fut Saint-Potin qui, lui serrant la main
avec une énergie de complice, demanda :
– Vous avez lu ma conversation avec le Chinois et avec l'Hindou. Est-ce assez
drôle ?
Ça a amusé tout Paris. Et je n'ai pas vu seulement le bout de leur nez.