Dans cet article, la scientifique Mélusine Martin analyse notre rapport au numérique et propose une nouvelle manière de l'utiliser avec modération.
Mes yeux s'ouvrent et contemplent les palmiers sur fond bleu qui miroitent sous l'éblouissant soleil australien. C'est une belle journée qui commence tranquillement. Machinalement, je cherche mon smartphone des mains sur la table de nuit pour consulter mes messages en attente. Je ne suis pas encore levée que déjà le monde me demande. Je sens une tension diffuse se propager dans ma poitrine, descendre le long de mes bras, et atteindre le bout de mes doigts qui pianotent sur l'écran digital. En une fraction de seconde, la journée est passée au rythme numérique. J'ai quitté le présent pour un monde virtuel. [...]
Ce qui était initialement conçu comme un outil est en train de devenir une obsession. Est-ce que vous perdez la notion du temps quand vous surfez sur le Web ? Vous ne pouvez pas vous empêcher de regarder votre smartphone lorsqu'il vibre ? Vous paniquez si vous oubliez votre téléphone à la maison ? Vous êtes peut-être accro au digital. Des études menées aux États-Unis et en Europe rapportent que 38 % de la population globale souffre de trouble de dépendance à Internet (TDI), également nommé cyberaddiction. L'une des causes avancées pour expliquer cette addiction est une altération physique du cerveau au niveau structurel. En effet, l'usage d'Internet affecte certaines parties du cerveau préfrontal associées au souvenir de détails, à la capacité à planifier et à hiérarchiser les tâches, nous rendant ainsi incapables d'établir des priorités dans notre vie. En conséquence, passer du temps en ligne devient prioritaire, et les tâches de la vie quotidienne passent après. […]
Maintenant, quand je me sens débordée par les sollicitations constantes et imprévisibles de ma connexion wifi, juste avant d'étouffer, je débranche. Le mouvement en faveur de la slow technology répond précisément au besoin d'une approche raisonnée de notre consommation digitale. De plus en plus de professionnels proposent des retraites de digital detox où l'on prend le vert et laisse son portable éteint. […]
J'ai toujours en bouche le goût d'éternité, l'impression de lenteur, qui teintaient d'un ennui apaisant les jours de ma vie pré-Internet. Je n'oublie pas que l'on peut vivre sans Internet même si le monde nous impose aujourd'hui de vivre avec. Je m'inquiète de voir des enfants de trois ans savoir se servir d'une tablette avant même de savoir écrire ; des enfants qui, parce que l'humanité est muée par des forces qui la dépassent et la modèlent sur la voie du progrès, ne connaîtront pas de vie sans Internet.