Dans les rues couvertes du centre commercial, les gens s'écoulent avec difficulté. On réussit à éviter, sans les regarder, tous ces corps voisins de quelques centimètres. Un instinct ou une habitude infaillible. On n'est cogné dans le ventre ou dans le dos que par les caddies et les enfants. « Regarde où tu marches ! » s'exclame une mère à son petit garçon. [...]
Il est monté à Achères-Ville, vingt, vingt-cinq ans. Il s'est installé sur deux places, les jambes de biais, allongées. Il sort de sa poche une pince à ongles et s'en sert, regardant après chaque doigt traité la beauté produite, en étendant la main devant lui. Les voyageurs autour font mine de ne pas voir. Il semble posséder une pince à ongles pour la première fois. Heureux avec insolence. Personne ne peut rien contre son bonheur de – comme signifie l'air des gens autour – mal-éduqué.
Une petite fille, dans le train, oblige sa mère à lui lire un livre dont chaque page commence ainsi : « Quelle heure est-il ? – Il est l'heure de... » (déjeuner, aller à l'école, nourrir le chat, etc.). La mère le lit tout haut une fois. La petite fille exige de lire à son tour. Mais elle ne sait pas encore, semble-t-il, elle a seulement retenu par cœur ce que sa mère lui a lu (sans doute plusieurs fois déjà) car elle se trompe sur les actions qu'il convient de faire à telle heure. Sa mère la corrige. La petite fille répète avec jubilation, de plus en plus fort : « Il est quatre heures, c'est l'heure de sortir bébé – il est cinq heures, c'est l'heure de changer l'eau du poisson », etc. Elle prend un plaisir de plus en plus haletant à répéter cette ronde implacable d'heures et d'activités autoritairement liées. Elle s'énerve, s'agite sur son siège, tourne les pages du livre avec une sorte de colère, « quelle heure est-il c'est l'heure de ». Normalement, ce vertige de la répétition, habituel aux enfants, doit atteindre bientôt son paroxysme, des cris, des pleurs et une claque. Ici, la petite fille se jette sur sa mère et lui dit : « Je veux te mordre. »