LE PROLOGUE. – Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire
d'Antigone. Antigone c'est la petite maigre qui est assise là‑bas, et qui
ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va
être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune fille
noiraude1 et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout... Et, depuis que ce rideau s'est levé, elle sent qu'elle s'éloigne à une vitesse vertigineuse de sa sœur Ismène, qui bavarde et rit avec un jeune homme, de nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous qui n'avons pas à mourir ce soir.
Le jeune homme avec qui parle la blonde, l'heureuse Ismène, c'est Hémon,
le fils de Créon. Il est le fiancé d'Antigone. [...]
Cet homme robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son page2
,
c'est Créon. C'est le roi. Il a des rides, il est fatigué. Il joue au jeu difficile
de conduire les hommes. Avant, du temps d'Œdipe, quand il n'était que le
premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures3, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes. Mais Œdipe et ses fils sont morts. Il a laissé ses livres, ses objets, il a retroussé ses manches et il a pris leur place. Quelquefois, le soir, il est fatigué, et il se demande s'il n'est pas vain4 de conduire les hommes. [...]
Et puis, au matin, des problèmes précis se posent, qu'il faut résoudre, et il
se lève, tranquille, comme un ouvrier au seuil de sa journée.
Inutile.