CRÉON. – Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si
j'aimais autre chose dans la vie que d'être puissant...
ANTIGONE. – Il fallait dire non, alors !
CRÉON. – Je le pouvais. Seulement, je me suis senti tout d'un coup comme
un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela ne m'a pas paru honnête. J'ai dit oui.
ANTIGONE. – Eh bien, tant pis pour vous. Moi, je n'ai pas dit « oui » !
Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre
nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux dire « non » encore à tout ce
que je n'aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre couronne, avec vos
gardes, avec votre attirail, vous pouvez seulement me faire mourir parce que
vous avez dit « oui ».
CRÉON. – Écoute-moi.
ANTIGONE. – Si je veux, moi, je peux ne pas vous écouter. Vous avez
dit « oui ». Je n'ai plus rien à apprendre de vous. Pas vous. Vous êtes là, à boire mes paroles. Et si vous n'appelez pas vos gardes, c'est pour m'écouter
jusqu'au bout.
CRÉON. – Tu m'amuses !
ANTIGONE. – Non. Je vous fais peur. C'est pour cela que vous essayez
de me sauver. Ce serait tout de même plus commode de garder une petite
Antigone vivante et muette dans ce palais. Vous êtes trop sensible pour faire
un bon tyran, voilà tout. Mais vous allez tout de même me faire mourir tout
à l'heure, vous le savez, et c'est pour cela que vous avez peur. C'est laid un
homme qui a peur.
CRÉON, sourdement. – Eh bien, oui, j'ai peur d'être obligé de te faire tuer
si tu t'obstines. Et je ne le voudrais pas. [...]
ANTIGONE. – Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre
et les bleus que tes gardes m'ont faits aux bras, avec ma peur qui me tord le
ventre, moi je suis reine.