ISMÈNE. – Tu sais, j'ai bien pensé, Antigone.
ANTIGONE. – Oui.
ISMÈNE. – J'ai bien pensé toute la nuit. Tu es folle.
ANTIGONE. – Oui.
ISMÈNE. – Nous ne pouvons pas.
ANTIGONE après un silence, de sa petite voix. – Pourquoi ?
ISMÈNE. – Il nous ferait mourir.
ANTIGONE. – Bien sûr. À chacun son rôle. Lui, il doit nous faire mourir,
et nous, nous devons aller enterrer notre frère. C'est comme cela que ç'a été
distribué. Qu'est‑ce que tu veux que nous y fassions ?
ISMÈNE. – Je ne veux pas mourir.
ANTIGONE, doucement. – Moi aussi j'aurais bien voulu ne pas mourir.
ISMÈNE. – Écoute, j'ai bien réfléchi toute la nuit. Je suis l'aînée. Je réfléchis plus que toi. Toi, c'est ce qui te passe par la tête tout de suite, et tant pis
si c'est une bêtise. Moi, je suis plus pondérée1. Je réfléchis.
ANTIGONE. – Il y a des fois où il ne faut pas trop réfléchir.
ISMÈNE. – Si, Antigone. D'abord c'est horrible, bien sûr, et j'ai pitié moi
aussi de mon frère, mais je comprends un peu notre oncle.
ANTIGONE. – Moi je ne veux pas comprendre un peu.
ISMÈNE. – Il est le roi, il faut qu'il donne l'exemple.
ANTIGONE. – Moi, je ne suis pas le roi. Il ne faut pas que je donne
l'exemple, moi... Ce qui lui passe par la tête, la petite Antigone, la sale bête,
l'entêtée, la mauvaise, et puis on la met dans un coin ou dans un trou. Et c'est
bien fait pour elle. Elle n'avait qu'à ne pas désobéir !
ISMÈNE. – Allez ! Allez !... Tes sourcils joints, ton regard droit devant toi et te voilà lancée sans écouter personne. Écoute-moi. J'ai raison plus souvent que toi.
ANTIGONE. – Je ne veux pas avoir raison.
Calme, modérée.