L'observation indique que les joueurs entretiennent une perception de
contrôle ou de maîtrise à l'égard des jeux de hasard et d'argent complètement
illusoire. La plupart d'entre eux se comportent en effet comme si ces
jeux nécessitaient des habiletés personnelles qui influent sur le résultat. Le
joueur qui participe à un jeu de hasard tente naturellement de découvrir la
façon d'accéder au gros lot. Dans la poursuite de cet objectif, il fait intervenir
des éléments de logique, de superstition, d'observation ou de calcul.
Rapidement, il met au point des stratégies personnelles (lire le journal et
miser aux courses sur le premier numéro qui saute aux yeux), adopte des
comportements ritualisés (avoir toujours sa chaîne d'argent au poignet),
imagine des trucs ou échafaude des systèmes (étudier les derniers numéros
gagnants pour déterminer sa combinaison) afin d'augmenter ses chances
de gagner. Or, ce faisant, il oublie ou il ignore que c'est le hasard seul qui
détermine l'issue de ces jeux que l'on ne peut ni maîtriser ni prédire.
James Henslin, un sociologue américain, a étudié il y a plus de trente-cinq
ans le comportement des joueurs dans les casinos de Las Vegas. Il rapporte
ce fait aussi cocasse que révélateur : au jeu de craps (un jeu de hasard qui
repose sur le lancer de deux dés), lorsque les joueurs désirent obtenir un
chiffre élevé, ils effectuent un lancer puissant et rapide alors qu'ils exécutent
un lancer lent et doux si la valeur recherchée est peu élevée. L'illusion de
contrôle se traduit donc ici jusque dans l'énergie transmise au poignet !
Divers facteurs personnels ou contextuels (compétition, pratique familière
des jeux, participation active) entretiennent cette illusion de contrôle.
Dans notre laboratoire de l'université de Laval au Québec, nous avons
vérifié l'influence de la portée du rôle actif assumé par le joueur. Pour
cela, nous avons invité deux groupes de personnes à participer à
une séance de jeu de roulette. Les deux groupes étaient soumis aux
mêmes conditions que celles d'un casino, à une exception près :
les joueurs « actifs » du premier groupe lançaient eux-mêmes la
boule, alors qu'un croupier exécutait cette tâche pour les sujets
« passifs » du second groupe. Que le participant ou le croupier
lance la boule ne changeait rien à l'issue du jeu. Pourtant les
résultats de notre expérience ont révélé que les personnes qui
lançaient elles-mêmes la boule plaçaient des mises beaucoup
plus élevées que les joueurs du premier groupe et surestimaient
davantage leurs probabilités de gagner.