Français 3e - 2021

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Chapitre 1
Texte et image

Lier l'histoire intime et l'histoire collective

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Texte
« Cet inconnu, c'est lui, dans sa totalité »

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Dans son roman autobiographique, La Douleur, Marguerite Duras raconte l'attente du retour de son mari, Robert Antelme (Robert L.), déporté pour résistance au camp de concentration de Dachau, puis le retour de ce dernier. Le passage suivant correspond au moment où elle revoit pour la première fois celui qui a été arrêté huit mois auparavant par la Gestapo.

Juste avant de venir rue Saint-Benoît1, D. s'est arrêté pour me téléphoner encore. « Je vous téléphone pour vous prévenir que c'est plus terrible que tout ce qu'on a imaginé. Il est heureux. »


J'ai entendu des cris retenus dans l'escalier, un remue-ménage, un piétinement. Puis des claquements de portes et des cris. C'était ça. C'était eux qui revenaient d'Allemagne.

Je n'ai pas pu l'éviter. Je suis descendue pour me sauver dans la rue. Beauchamp et D. le soutenaient par les aisselles. Ils étaient arrêtés au palier du premier étage. Ils avaient les yeux levés.

Je ne sais plus exactement. Il a dû me regarder et me reconnaître et sourire. J'ai hurlé que non, que je ne voulais pas le voir. Je suis repartie, j'ai remonté l'escalier. Je hurlais, de cela je me souviens. La guerre sortait dans des hurlements. Six années sans crier. Je me suis retrouvée chez des voisins. Ils me forçaient à boire du rhum, ils me le versaient dans la bouche. Dans les cris.

Je ne sais plus comment je me suis retrouvée devant lui, lui, Robert L. Je me souviens des sanglots partout dans la maison, que les locataires sont restés longtemps dans l'escalier, que les portes étaient ouvertes. On m'a dit après que la concierge avait décoré l'entrée pour l'accueillir et que dès qu'il était passé, elle avait tout arraché et qu'elle, elle s'était enfermée dans sa loge, farouche2, pour pleurer.

Dans mon souvenir, à un moment donné, les bruits s'éteignent et je le vois. Immense. Devant moi. Je ne le reconnais pas. Il me regarde. Il sourit. Il se laisse regarder. Une fatigue surnaturelle se montre dans son sourire, celle d'être arrivé à vivre jusqu'à ce moment-ci. C'est à ce sourire que tout à coup je le reconnais, mais de très loin, comme si je le voyais au fond d'un tunnel. C'est un sourire de confusion. Il s'excuse d'en être là, réduit à ce déchet. Et puis le sourire s'évanouit. Et il redevient un inconnu. Mais la connaissance est là, que cet inconnu c'est lui, Robert L., dans sa totalité.


Il avait voulu revoir la maison. On l'avait soutenu et il avait fait le tour des chambres. Ses joues se plissaient mais elles ne se décollaient pas des mâchoires, c'était dans ses yeux qu'on avait vu son sourire. [...]

Le docteur est arrivé. Il s'est arrêté net, la main sur la poignée, très pâle. Il nous a regardés puis il a regardé la forme sur le divan. Il ne comprenait pas. Et puis il a compris : cette forme n'était pas encore morte, elle flottait entre la vie et la mort et on l'avait appelé, lui, le docteur, pour qu'il essaye de la faire vivre encore. Le docteur est entré. Il est allé jusqu'à la forme et la forme lui a souri. [...]


La lutte a commencé très vite avec la mort. Il fallait y aller doux avec elle, avec délicatesse, tact, doigté. [...]

Il devait peser entre trente-sept et trente-huit kilos : l'os, la peau, le foie, les intestins, la cervelle, le poumon, tout compris : trente-huit kilos répartis sur un corps d'un mètre soixante-dix-huit.
Marguerite Duras
La Douleur, © P.O.L. Éditeur, 1985.
1. Rue parisienne dans laquelle habitaient Margueritte Duras et Robert Antelme.
2. Apeurée, effrayée.
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DurasPortrait de Marguerite
Duras
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Marguerite Duras
(1914-1996)


Marguerite Duras est une romancière, dramaturge, scénariste et cinéaste française. Son œuvre est essentiellement inspirée de sa vie.
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À l'oral

Comprenez-vous la réaction de Marguerite Duras lorsqu'elle voit apparaître devant elle Robert L. ? La trouvez-vous légitime ? choquante ?
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Placeholder pour René Magritte, Le Cœur dévoiléRené Magritte, Le Cœur dévoilé
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René Magritte, Le Cœur dévoilé (portrait de Tina Thirifays), 1936, huile sur toile, 80 × 64 cm (collection privée).
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Questions

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Compréhension

1. À la lecture du texte, diriez-vous que le sujet est le retour de Robert L. ? Précisez votre réponse.


2. L'autrice retranscrit-elle ce souvenir avec précision ? Citez le texte pour prouver votre réponse.


3. Comment l'agitation du retour de Robert L. se traduit-elle dans l'immeuble ?
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Analyse et interprétation

4. « "Je vous téléphone pour vous prévenir que c'est plus terrible que tout ce qu'on a imaginé. Il est heureux." » (l. 2-3)
a. En quoi l'association de ces deux phrases est-elle étrange ?

b. Quels passages de la suite du texte permettent de traduire la tension dramatique présente dans ces deux phrases ?

5. a. « Je n'ai pas pu l'éviter. » (l. 7) Qui le pronom complément « l' » désigne-t-il ici ?

b. Quels autres pronoms désignent la même personne avant que celle-ci ne soit nommée ?

c. Pourquoi Marguerite Duras retarde-t-elle le moment de la nommer ?

6. a. En quoi les retrouvailles de l'autrice et de son époux sont-elles sous le signe de la « confusion » (l. 44) ?

b. En quoi cette confusion se poursuit-elle à l'arrivée du docteur (l. 50-55) ?


7. Quels sentiments Marguerite Duras souhaite-t-elle faire naître dans l'esprit du lecteur en produisant une telle phrase de conclusion ? Expliquez-vous.


8. Pourquoi ce texte dépasse-t-il les attentes d'un texte autobiographique ?


9. Image En quoi ce double portrait pourrait-il illustrer non seulement le rapport de l'autrice à elle-même dans ce texte, mais bien des entreprises autobiographiques, de Montaigne à aujourd'hui ?
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Langue

10. Relevez les phrases non verbales. À quels moments et pourquoi Marguerite Duras les emploie-t-elle ?
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Écriture

11. Racontez cette scène du point de vue de Robert L. (20 lignes).
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