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Texte 1

Marie de Gournay, Grief des dames (1626)

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Éditrice des Essais de Montaigne, traductrice et femme de lettres autodidacte, Marie de Gournay a revendiqué dans ses écrits l'égalité entre les sexes et le droit pour les femmes d'accéder au savoir.

Bienheureux es‑tu, lecteur, si tu n'es point de ce sexe à qui l'on interdit tous les biens, lui interdisant la liberté ; ajoutons, à qui l'on interdit encore à peu près toutes les vertus, lui soustrayant les charges, les offices1 et les fonctions publiques : en un mot, lui retranchant le pouvoir, en la modération duquel la plupart des vertus se forment, afin de lui constituer pour seule félicité2, pour vertus souveraines et seules, l'ignorance, la servitude et la faculté de faire le sot. Bienheureux derechef3, [toi] qui peux être sage sans crime, ta qualité d'homme te concédant4, autant qu'on les défend aux femmes, toute action de haute volée, tout jugement, et toute parole de spéculation5 exquise, et le crédit6 de les faire approuver, ou pour le moins, écouter.

Mais afin de taire pour ce coup les autres griefs de ce sexe, de quelle insolente façon est‑il ordinairement traité, je vous prie, aux conférences, autant qu'il s'y mêle7 ? Et [je] suis si peu, ou pour mieux dire, si glorieuse8, que je ne crains pas d'avouer que je le sais de ma propre expérience. Même si les dames ont ces puissants arguments de Carnéade9, il n'y a [homme] si chétif10 qui ne les rembarre avec l'approbation de la plupart des assistants, quand avec un sourire seulement, ou quelque petit branlement de tête, son éloquence muette aura dit : « C'est une femme qui parle. »

Tel rebute pour11 aigreur épineuse, ou du moins pour opiniâtreté12, toute sorte de résistance qu'elles peuvent faire contre les arrêts13 de son jugement, pour14 discrète qu'elle se montre, soit qu'il ne croit pas qu'elles puissent heurter sa précieuse tête pour [un] autre ressort15 que celui de l'aigreur et de l'opiniâtreté, soit parce que, se sentant au secret du cœur16 mal aiguisé pour le combat, il faut qu'il trame querelle d'Allemand17 afin de fuir les coups. Et l'invention n'est pas trop sotte, d'accrocher sur les fins de non‑recevoir18 la rencontre de quelques cervelles qui peut‑être lui feraient peine à débeller19. Un autre, s'arrêtant par faiblesse à mi‑chemin, sous couleur de ne vouloir importuner personne de notre robe20, sera dit à la fois victorieux et courtois. Un autre, derechef, bien qu'il estimât une femme capable de soutenir une dispute, ne croira pas que sa bienséance lui permette de présenter un duel légitime à cet esprit, parce qu'il la loge en la bonne opinion du vulgaire21, lequel méprise le sexe [féminin] en ce point‑là.
Marie de Gournay
Grief 22des dames, 1626, orthographe et ponctuation modernisées.

1. Charges, offices : fonctions, emplois.
2. Bonheur.
3. À nouveau.
4. T'autorisant.
5. Pensée abstraite, théorique.
6. Pouvoir.
7. Qu'il peut y participer.
8. Célèbre.
9. Philosophe grec capable, par la force de son raisonnement, de soutenir deux argumentations opposées.
10. Faible et méprisable.
11. Tel homme rejette avec mépris, en la considérant comme.
12. Entêtement.
13. Décisions.
14. Aussi.
15. Une autre raison.
16. Intimement.
17. Qu'il crée une dispute sans sujet sérieux.
18. D'éviter.
19. Vaincre.
20. De notre sexe.
21. Des gens ordinaires, de la majorité.
22. Reproche, plainte.

Lecture du texte

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Préparer l'explication linéaire (8 points)

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Étape 1
Première lecture et repérages

Question 1
Faites des recherches sur l'autrice. Quels éléments de biographie et de contexte retenez‑vous pour présenter cet extrait ?

Question 2
Rappelez le sens du titre en vous aidant de la note.

Question 3
Donnez un titre à chacun des paragraphes.
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Étape 2
Analyser le texte

Question 4
Analysez l'adresse au destinataire. Quelle est la tonalité dominante dans cet extrait ? Justifiez votre réponse.

Question 5
Écoutez . Comment la construction des phrases et le rythme soulignent‑ils la force de conviction de l'autrice ?

Question 6
a) À l'intérieur de chaque paragraphe, repérez les connecteurs logiques. Comment structurent‑ils la progression de l'argumentation ?

b) Faites le même travail de repérage et d'analyse pour les répétitions.

Question 7
a) Quel champ lexical est employé dans le premier paragraphe ?

b) Lequel domine dans le troisième paragraphe ? Expliquez.

Question 8
Comment l'autrice discrédite‑t‑elle les arguments masculins ?
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Étape 3
Préparer l'introduction et la conclusion

Question 9
Introduction • Choisissez l'expression la plus appropriée pour présenter les enjeux de cet extrait : « une parole féminine jugée néfaste / dévaluée / surestimée par les hommes ».

Question 10
Conclusion • Proposez une ouverture en montrant comment les revendications de Gouges font écho à celles de Gournay.
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Préparer la lecture (2 points)

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Question 11
a) Écoutez le texte lu par une comédienne et prenez connaissance des conseils donnés en couleur dans le texte ci‑dessous.

Grief des dames - Marie de Gournay


Bienheureux es‑tu, lecteur, si tu n'es point de ce sexe qu'on interdit de tous les biens, lui interdisant la liberté ; ajoutons, à qui l'on interdit encore à peu près toutes les vertus, lui soustrayant les charges, les offices et les fonctions publiques : en un mot, lui retranchant le pouvoir, en la modération duquel la plupart des vertus se forment, afin de lui constituer pour seule félicité, pour vertus souveraines et seules, l'ignorance, la servitude et la faculté de faire le sot. Bienheureux derechef, [toi] qui peux être sage sans crime, ta qualité d'homme te concédant, autant qu'on les défend aux femmes, toute action de haute volée, tout jugement, et toute parole de spéculation exquise, et le crédit de les faire approuver, ou pour le moins, s'écouter.

Mais afin de taire pour ce coup les autres griefs de ce sexe, de quelle insolente façon est‑il ordinairement traité, je vous prie, aux conférences autant qu'il s'y mêle ? Et [je] suis si peu, ou pour mieux dire, si glorieuse, que je ne crains pas d'avouer, que je le sais de ma propre expérience. Même si les dames ont ces puissants arguments de Carnéade, il n'y a [homme] si chétif qui ne les rembarre avec l'approbation de la plupart des assistants, quand avec un sourire seulement, ou quelque petit branlement de tête, son éloquence muette aura dit : « C'est une femme qui parle ».

Tel rebute pour aigreur épineuse, ou du moins pour opiniâtreté, toute sorte de résistance qu'elles peuvent faire contre les arrêts de son jugement, pour discrète qu'elle se montre, soit qu'il ne croit pas qu'elles puissent heurter sa précieuse tête pour [un] autre ressort que celui de l'aigreur et de l'opiniâtreté, soit parce que, se sentant au secret du cœur mal aiguisé pour le combat, il faut qu'il trame querelle d'Allemand afin de fuir les coups. Et l'invention n'est pas trop sotte, d'accrocher sur les fins de non‑recevoir la rencontre de quelques cervelles qui peut‑être lui feraient peine à débeller. Un autre, s'arrêtant par faiblesse à mi‑chemin, sous couleur de ne vouloir pas importuner personne de notre robe, sera dit victorieux et courtois ensemble. Un autre, derechef, bien qu'il estimât une femme capable de soutenir une dispute, ne croira pas que sa bienséance lui permette de présenter un duel légitime à cet esprit, parce qu'il la loge en la bonne opinion du vulgaire, lequel méprise le sexe [féminin] en ce point‑là.

Conseils

  • Rythme de lecture
  • Expressivité de la voix
  • Accentuation d'un ou des mot(s)

b) Entrainez‑vous à lire !
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Traiter la question de grammaire (2 points)

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Question 12
Identifiez puis analysez la proposition subordonnée circonstancielle dans la phrase en gras (▶ ).
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Résonances pour préparer la dissertation

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« Bienheureux es‑tu, lecteur, si tu n'es point de ce sexe »

Question 1
 Comparez la manière dont Marie de Gournay et Olympe de Gouges s'adressent à un lectorat masculin.
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Les femmes, privées de tout

Question 2
Quelles interdictions suscitent la révolte de Gouges comme celle de Gournay ?

Question 3
Quels choix font‑elles pour y remédier ?
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Le discrédit de la parole féminine

Et tel autre [...] tourne le discours en risée, ou bien en escoppeterie de caquet perpétuel, ou le détord et divertit ailleurs, et se met à vomir pédantesquement force belles choses qu'on ne lui demande pas [...].
Marie de Gournay, Grief des dames, 1626.

Question 4
Comment comprenez‑vous l'expression soulignée dans cette citation, située quelques lignes après l'extrait étudié ? Reformulez‑la avec vos propres mots.

Question 5
Bavardages, commérages, « caquet perpétuel » : enrichissez votre réflexion sur la dévalorisation de la parole des femmes grâce à l'étude à .

Question 6
Lisez de Constance Pipelet. En quoi le statut d'autrice est‑il une véritable conquête pour les femmes ?
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« Aigreur et opiniâtreté » des femmes

Question 7
Lisez un extrait de l'Émile de Jean‑Jacques Rousseau ci‑dessous ou . Observez la résurgence de ces deux défauts jugés féminins.
Extrait de l'Émile de Jean Jacques Rousseau
Dans le cinquième et dernier livre de l'Émile, Rousseau s'intéresse plus spécifiquement à l'éducation que doivent recevoir les jeunes filles.

Par la même raison qu'elles ont ou doivent avoir peu de liberté, elles portent à l'excès celle qu'on leur laisse. Extrêmes en tout, elles se livrent à leurs jeux avec plus d'emportement encore que les garçons : c'est le second des inconvénients dont je viens de parler. Cet emportement doit être modéré, car il est la cause de plusieurs vices particuliers aux femmes, comme, entre autres, le caprice de l'engouement, par lequel une femme se transporte1 aujourd'hui pour tel objet qu'elle ne regardera pas demain. L'inconstance des gouts leur est aussi funeste que leur excès, et l'un et l'autre leur vient de la même source. Ne leur ôtez pas la gaieté, les rires, le bruit, les folâtres jeux, mais empêchez qu'elles ne se rassasient de l'un pour courir à l'autre. Ne souffrez pas2 qu'un seul instant dans leur vie elles ne connaissent plus de frein. Accoutumez‑les à se voir interrompre au milieu de leurs jeux, et ramener à d'autres soins3 sans murmurer. La seule habitude suffit encore en ceci, parce qu'elle ne fait que seconder la nature.

Il résulte de cette contrainte habituelle une docilité dont les femmes ont besoin toute leur vie, puisqu'elles ne cessent jamais d'être assujetties4 ou à un homme, ou aux jugements des hommes, et qu'il ne leur est jamais permis de se mettre au‑dessus de ces jugements. La première et la plus importante qualité d'une femme est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfait que l'homme, souvent si plein de vices, et toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure à souffrir5 même l'injustice et à supporter les torts d'un mari sans se plaindre. Ce n'est pas pour lui, c'est pour elle qu'elle doit être douce. L'aigreur et l'opiniâtreté6 des femmes ne font jamais qu'augmenter leurs maux et les mauvais procédés des maris ; ils sentent que ce n'est pas avec ces armes‑là qu'elles doivent les vaincre. Le ciel ne les fit point insinuantes et persuasives pour devenir acariâtres7 ; il ne les fit point faibles pour être impérieuses8 ; il ne leur donna point une voix si douce pour dire des injures ; il ne leur fit point des traits si délicats pour les défigurer par la colère. Quand elles se fâchent, elle s'oublient : elles ont souvent raison de se plaindre, mais elles ont toujours tort de gronder. Chacun doit garder le ton de son sexe. Un mari trop doux peut rendre une femme impertinente ; mais, à moins qu'un homme ne soit un monstre, la douceur d'une femme le ramène, et triomphe de lui tôt ou tard.
Jean‑Jacques Rousseau
Émile ou De l'éducation, Livre 5, 1762, orthographe et syntaxe modernisées.

1. Se passionne.
2. Ne permettez pas.
3. Occupations.
4. Soumises.
5. Supporter, tolérer.
6. Obstination, entêtement.
7. D'une humeur fâcheuse, désagréable.
8. Autoritaires.
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