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Jean de La Bruyère, Les Caractères (1688)

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Rassemblant sous forme de « remarques » des réflexions personnelles, des morales, des portraits, Les Caractères constituent une fine observation des mœurs d'une époque. Dans cette partie intitulée « Des Grands », La Bruyère s'attaque aux puissants.

23. C'est déjà trop d'avoir avec le peuple une même religion et un même Dieu. Quel moyen encore de s'appeler Pierre, Jean, Jacques, comme le marchand ou le laboureur ? Évitons d'avoir rien1 de commun avec la multitude ; affectons au contraire toutes les distinctions qui nous en séparent. Qu'elle s'approprie les douze apôtres, leurs disciples, les premiers martyrs2 (telles gens, tels patrons) ; qu'elle voie avec plaisir revenir, toutes les années, ce jour particulier que chacun célèbre comme sa fête. Pour nous autres grands, ayons recours aux noms profanes3 ; faisons‑nous baptiser sous ceux d'Annibal, de César et de Pompée : c'étaient de grands hommes ; sous celui de Lucrèce : c'était une illustre Romaine ; sous ceux de Renaud, de Roger, d'Olivier et de Tancrède : c'étaient des paladins4, et le roman n'a point de héros plus merveilleux ; sous ceux d'Hector, d'Achille, d'Hercule, tous demi‑dieux ; sous ceux même de Phébus et de Diane. Et qui nous empêchera de nous faire nommer Jupiter ou Mercure, ou Vénus, ou Adonis ?

24. Pendant que les grands négligent de rien connaitre, je ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires publiques, mais à leurs propres affaires ; qu'ils ignorent l'économie et la science d'un père de famille, et qu'ils se louent5 eux‑mêmes de cette ignorance ; qu'ils se laissent appauvrir et maitriser par des intendants6 ; qu'ils se contentent d'être gourmets ou coteaux7, d'aller chez Thaïs ou chez Phryné, de parler de la meute et de la vieille meute8, de dire combien il y a de postes9 de Paris à Besançon, ou à Philisbourg, des citoyens s'instruisent du dedans et du dehors d'un royaume, étudient le gouvernement, deviennent fins et politiques, savent le fort et le faible de tout un État, songent à mieux se placer, se placent, s'élèvent, deviennent puissants, soulagent le prince d'une partie des soins publics. Les grands, qui les dédaignaient, les révèrent10 : heureux s'ils deviennent leurs gendres.

25. Si je compare ensemble les deux conditions des hommes les plus opposées, je veux dire les grands avec le peuple, ce dernier me parait content du nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait faire aucun mal ; un grand ne veut faire aucun bien, et est capable de grands maux. L'un ne se forme et ne s'exerce que dans les choses qui sont utiles ; l'autre y joint les pernicieuses. Là se montrent ingénument11 la grossièreté et la franchise ; ici se cache une sève maligne12 et corrompue sous l'écorce de la politesse. Le peuple n'a guère d'esprit, et les grands n'ont point d'âme : celui‑là a un bon fond, et n'a point de dehors ; ceux‑ci n'ont que des dehors et qu'une simple superficie. Faut‑il opter ? Je ne balance pas13 : je veux être peuple.
« Des Grands », fragments 23‑25, 8e édition, orthographe et ponctuation modernisées.

1. Quoi que ce soit.
2. Apôtres, disciples, martyrs : référence aux personnages importants de la Bible, qui ont leur fête dans le calendrier.
3. Ici : qui n'ont pas pour origine la religion chrétienne.
4. Valeureux chevaliers du Moyen Âge.
5. Vantent.
6. Employés qui dirigent le personnel, gèrent la fortune.
7. Amateurs de vins.
8. Meutes de chiens, pour la chasse. La vieille meute désigne les chiens que l'on envoie une fois que la première meute est fatiguée.
9. De kilomètres (une poste = environ 10 km).
10. Traitent avec le plus grand respect.
11. Avec une sincérité innocente et naïve.
12. Mauvaise, nuisible.
13. Je n'hésite pas.

Lecture du texte

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Préparer l'explication linéaire (8 points)

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Étape 1
Première lecture et repérages

Question 1
Faites des recherches rapides sur Jean de La Bruyère et dites en quoi il est considéré comme un moraliste classique.
Question 2
Donnez un titre à chacune des trois remarques qui forment cet extrait.
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Étape 2
Analyser le texte

Question 3
Remarque 23 • a) Reformulez la thèse de ce paragraphe.

b) À quoi servent les énumérations ?

Question 4
Quelle est la tonalité dominante ? Justifiez votre réponse, en rappelant notamment le prénom de l'auteur.

Question 5
Quel défaut des « grands » est finalement critiqué ?

Question 6
Remarque 24  • Comment ce paragraphe est‑il structuré ?

Question 7
Quelle image donne‑t‑il des puissants ? Par quels moyens ?
Question 8
Remarque 25 • a) Relevez les parallélismes de construction.

b) Quelles oppositions soulignent‑ils ?

Question 9
Quel est l'effet produit par le rythme des deux dernières phrases ?

Question 10
Résumez le portrait qui est fait des puissants et du peuple.

Question 11
En prenant appui sur vos réponses précédentes, expliquez le sens de la proposition : « je veux être peuple. »
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Étape 3
Préparer l'introduction et la conclusion

Question 12
Introduction • Proposez une introduction comprenant les termes : fragments ; vanité des différences sociales ; perte de la valeur morale.
Question 13
Conclusion • a) Résumez en une phrase l'enjeu de chaque mouvement.

b) Élargissez en présentant les enjeux de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen au regard de ce texte.
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Préparer la lecture (2 points)

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Question 14
a) Écoutez le texte lu par une comédien et prenez connaissance des conseils donnés en couleur dans le texte ci‑dessous.

Les Caractères - Jean de La Bruyère

Crédits : Lelivrescolaie?fr

23. C'est déjà trop d'avoir avec le peuple une même religion et un même Dieu. Quel moyen encore de s'appeler Pierre, Jean, Jacques, comme le marchand ou le laboureur ? Évitons d'avoir rien de commun avec la multitude ; affectons au contraire toutes les distinctions qui nous en séparent. Qu'elle s'approprie les douze apôtres, leurs disciples, les premiers martyrs (telles gens, tels patrons) ; qu'elle voie avec plaisir revenir, toutes les années, ce jour particulier que chacun célèbre comme sa fête. Pour nous autres grands, ayons recours aux noms profanes ; faisons‑nous baptiser sous ceux d'Annibal, de César et de Pompée : c'étaient de grands hommes ; sous celui de Lucrèce : c'était une illustre Romaine ; sous ceux de Renaud, de Roger, d'Olivier et de Tancrède : c'étaient des paladins, et le roman n'a point de héros plus merveilleux ; sous ceux d'Hector, d'Achille, d'Hercule, tous demi‑dieux ; sous ceux même de Phébus et de Diane. Et qui nous empêchera de nous faire nommer Jupiter ou Mercure, ou Vénus, ou Adonis ?

24. Pendant que les grands négligent de rien connaitre, je ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires publiques, mais à leurs propres affaires ; qu'ils ignorent l'économie et la science d'un père de famille, et qu'ils se louent eux‑mêmes de cette ignorance ; qu'ils se laissent appauvrir et maitriser par des intendants ; qu'ils se contentent d'être gourmets ou coteaux, d'aller chez Thaïs ou chez Phryné, de parler de la meute et de la vieille meute, de dire combien il y a de postes de Paris à Besançon, ou à Philisbourg, des citoyens s'instruisent du dedans et du dehors d'un royaume, étudient le gouvernement, deviennent fins et politiques, savent le fort et le faible de tout un État, songent à mieux se placer, se placent, s'élèvent, deviennent puissants, soulagent le prince d'une partie des soins publics. Les grands, qui les dédaignaient, les révèrent : heureux s'ils deviennent leurs gendres.

25. Si je compare ensemble les deux conditions des hommes les plus opposées, je veux dire les grands avec le peuple, ce dernier me parait content du nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait faire aucun mal ; un grand ne veut faire aucun bien, et est capable de grands maux. L'un ne se forme et ne s'exerce que dans les choses qui sont utiles ; l'autre y joint les pernicieuses. Là se montrent ingénument la grossièreté et la franchise ; ici se cache une sève maligne et corrompue sous l'écorce de la politesse. Le peuple n'a guère d'esprit, et les grands n'ont point d'âme : celui‑là a un bon fond, et n'a point de dehors ; ceux‑ci n'ont que des dehors et qu'une simple superficie. Faut‑il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple.

Conseils

  • Rythme de lecture
  • Expressivité de la voix
  • Accentuation d'un ou des mot(s)

b) Entrainez‑vous à lire !
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Traiter la question de grammaire (2 points)

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Question 15
Analysez l'expression de la négation dans la phrase soulignée.
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Résonances pour préparer la dissertation

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Les ambitions d'une citoyenne

Question 1
a) Dans quelle mesure Gouges correspond‑elle au portrait que La Bruyère dresse du citoyen (remarque 24) ?

b) Cependant, en quoi l'inégalité entre les sexes entrave‑t‑elle l'émancipation par le travail ?

c) La Déclaration peut‑elle alors se comprendre comme une proposition de remédiation ?

Question 2
Relisez . En quoi l'autrice se considère‑t‑elle comme une médiatrice légitime entre les différentes composantes de la société française ?
Ô peuple, citoyens malheureux ! Écoutez la voix d'une femme juste et sensible.
Olympe de Gouges, Lettre au peuple, 1788.

Question 3
Lisez un extrait de la Lettre au peuple ci‑dessous ou .
Extrait de la Lettre au peuple
Publiée dans le contexte de la crise financière conduisant à la tenue des États généraux, cette lettre formule une proposition d'impôt volontaire qui pourrait aider à rétablir l'économie du pays.

Il y a une profonde misère dans Paris : l'ouvrier manque de pain pour donner à sa femme, à ses enfants, et il trouve de l'argent pour multiplier ses plaisirs, ou plutôt ses folies et ses joies extravagantes. Faut‑il croire que le peuple soit sans humanité ? Non, sans doute. Il sent la nature plus que celui qui passe nonchalamment sa vie dans des maisons somptueuses et sous des lambris dorés1. Mais le peuple n'a d'autres plaisirs, me dira‑t‑on, que de noyer ses peines et ses soucis dans la joie qui lui parait naturelle. Elle est naturelle en effet, puisqu'elle part du cœur. Mais quelle suite funeste2 ne produit‑elle pas dans ces moments ? Et vous, fameux écrivains, qui n'avez su parler qu'aux rois, connaissez une ambition plus grande, plus pure et plus louable3 : c'est au peuple que je m'adresse. Je le prie de me lire avec attention et de juger si je pense en bonne citoyenne. Sa Majesté, sans doute, ne trouvera point mauvais qu'une femme attendrie sur l'affliction4 générale, ose prévenir par son pressentiment des maux encore plus cruels.
[...]
Les États généraux peut‑être trouveront d'autres moyens5 ; mais quelles que soient les ressources dont leur sagesse fera usage, ils ne pourront trouver déplacés les conseils d'une femme qui, en dépit de la légèreté naturelle à son sexe, n'en a pas moins de bonnes vues6. Ce sexe, qu'on se plait tant à accuser de frivolité7, n'en a pas moins en général des idées souvent ingénieuses, et que les sages ne dédaignent pas tout à fait : ils en profitent même quelquefois, et ont la vertu d'en convenir. Quant au fat8, au petit maitre, à l'inconséquent9, et jusqu'au pédant, la femme est à leurs yeux un être inutile dans la société. Mais que m'importent les clameurs de ces hommes encore plus inutiles que des femmelettes : mon but est louable, mon projet est bon, et rien ne peut me détourner du sentier que je me suis frayé. C'est au peuple à qui je propose mon projet, c'est au Parlement à qui je demande s'il est déplacé, et aux États généraux s'il est louable. [Je] ne peux me refuser de reconnaitre que lorsqu'on possède un cœur vrai, une âme pure, un caractère droit, on ne peut avoir de mauvaises intentions, et qu'enfin, si les hommes pensent, les uns bien, les autres mal, les causes qui les animent doivent être différentes ; ainsi, je crois que celle qui m'anime est la bonne cause, et qu'elle part directement d'un être bienfaisant. Si j'écris mal, je pense bien : sans doute on trouvera mon style peu correct et plus naïf qu'éloquent10, mais quand je posséderai l'art d'écrire comme Voltaire, je le négligerai pour montrer la vérité, pour parler au cœur. Il ne s'agit point de phrases, quand le sentiment est pur, il n'a pas besoin de ton emphatique11.
Olympe de Gouges
Lettre au peuple, ou Projet d'une caisse patriotique, par une citoyenne, novembre 1788. Orthographe et syntaxe modernisées.

1. Sous des plafonds richement décorés.
2. Malheureuse, déplorable.
3. Estimable.
4. Grande douleur.
5. Pour sortir de la crise financière.
6. Idées, projets.
7. Manque de sérieux, légèreté.
8. Médiocre mais très satisfait de soi.
9. Qui ne calcule pas les conséquences de ses actes.
10. Qui montre une excellente maitrise technique de l'art du discours.
11. Pompeux, grandiloquent.

a) Quelle vision du peuple Olympe de Gouges y développe‑t‑elle ?

b) Quel autoportrait se dessine ?
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Pierre, César, Marie, Olympe… et les autres

Question 4
Rappelez le véritable nom d'Olympe de Gouges. Le choix d'un pseudonyme est‑il un moyen de se distinguer pour elle ?

Question 5
Dans quel autre extrait du parcours associé la distinction entre les différentes conditions s'opère‑t‑elle par le choix des prénoms et des noms ? Expliquez.
Question 6
a) Quelle autrice du parcours associé a publié ses écrits sous différents noms ? Pourquoi ?

b) En quoi ce changement de nom peut‑il être un inconvénient ?

c) Pourquoi le choix d'un nom de plume peut‑il être alors une stratégie intéressante ?

Question 7
Recherchez trois noms d'autrices ayant eu recours à un pseudonyme et précisez le(s) but(s) de leur démarche.
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