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Texte 3

Marivaux, La Colonie (1750)

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Cette comédie en un acte met en scène des personnages échoués sur une ile. Les femmes se saisissent de cette situation inédite pour proposer un nouvel ordre social en réclamant l'égalité des droits et une plus grande participation à la vie politique. Représentées par Arthénice, femme noble, et Madame Sorbin, femme du peuple, elles se réunissent en assemblée générale.

ARTHÉNICE1, après avoir toussé et craché. – L'oppression dans laquelle nous vivons sous nos tyrans, pour être si ancienne, n'en est pas devenue plus raisonnable. N'attendons pas que les hommes se corrigent d'eux‑mêmes ; l'insuffisance de leurs lois a beau les punir de les avoir faites à leur tête et sans nous, rien ne les ramène à la justice qu'ils nous doivent, ils ont oublié qu'ils nous la refusent.

MADAME SORBIN. – Aussi le monde va, il n'y a qu'à voir.

ARTHÉNICE. – Dans l'arrangement des affaires, il est décidé que nous n'avons pas le sens commun, mais tellement décidé que cela va tout seul, et que nous n'en appelons pas nous‑mêmes.

UNE DES FEMMES. – Hé ! que voulez‑vous ? On nous crie dès le berceau : vous n'êtes capables de rien, ne vous mêlez de rien, vous n'êtes bonnes à rien qu'à être sages. On l'a dit à nos mères qui l'ont cru, qui nous le répètent ; on a les oreilles rebattues de2 ces mauvais propos ; nous sommes douces, la paresse s'en mêle, on nous mène comme des moutons.

MADAME SORBIN. – Oh ! pour moi, je ne suis qu'une femme, mais depuis que j'ai l'âge de raison, le mouton n'a jamais trouvé cela bon.

ARTHÉNICE. – Je ne suis qu'une femme, dit Madame Sorbin, cela est admirable !

MADAME SORBIN. – Cela vient encore de cette moutonnerie.

ARTHÉNICE. – Il faut qu'il y ait en nous une défiance3 bien louable de nos lumières pour avoir adopté ce jargon‑là. Qu'on me trouve des hommes qui en disent autant d'eux : cela les passe4. Revenons au vrai pourtant : vous n'êtes qu'une femme, dites‑vous ? Hé ! que voulez‑vous donc être pour être mieux ?

MADAME SORBIN. – Eh ! Je m'y tiens, Mesdames, je m'y tiens, c'est nous qui avons le mieux, et je bénis le ciel de m'en avoir fait participante, il m'a comblée d'honneurs, et je lui en rends des grâces nonpareilles5.

UNE DES FEMMES. – Hélas ! Cela est bien juste.

ARTHÉNICE. – Pénétrons‑nous donc un peu de ce que nous valons6, non par orgueil, mais par reconnaissance.
Scène 9 (extrait), orthographe et ponctuation modernisées.

1. Anagramme de « Catherine », prénom de la marquise de Rambouillet qui tenait un salon littéraire principalement fréquenté par des femmes, et très influent au XVIIe siècle. La consonance grecque du nom du personnage ajoute à son prestige.
2. On nous répète sans cesse.
3. Un manque de confiance.
4. Cela les dépasse, cela est au‑dessus de leur intelligence.
5. Je lui en rends grâce infiniment.
6. Connaissons davantage notre valeur.

Lecture du texte

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Placeholder pour Marivaux, La Colonie, Mise en scène de Jean-Claude Penchenat pour le festival Le Campagnol fête
Marivaux, théâtre La Piscine, Châtenay-Malabry, 1988Marivaux, La Colonie, Mise en scène de Jean-Claude Penchenat pour le festival Le Campagnol fête
Marivaux, théâtre La Piscine, Châtenay-Malabry, 1988
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La Colonie d'après Marivaux, tirée du spectacle Le Campagnol fête Marivaux, mise en scène de Jean‑Claude Penchenat au Théâtre du Campagnol, 1988
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Préparer l'explication linéaire (8 points)

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Étape 1
Première lecture et repérages

Question 1
a) Faites des recherches rapides sur les conditions de parution et la structure de la pièce.

b) En quoi La Colonie relève‑t‑elle des pièces dites « utopiques » de Marivaux ?

Question 2
Distinguez deux mouvements dans cet extrait.
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Étape 2
Analyser le texte

Question 3
Écoutez . Observez la didascalie initiale et la répartition de la parole. Quel portrait cette scène fait‑elle d'Arthénice ?

Question 4
a) Par quels procédés oratoires Arthénice implique‑t‑elle son auditoire ?

b) Quel sentiment veut‑elle susciter chez les femmes ?

Question 5
Quels arguments Arthénice formule‑t‑elle pour dénoncer l'inégalité entre les femmes et les hommes ?
Question 6
a) Observez le lexique employé dans la réplique l. 11 à 15.

b) Quelle est sa connotation ?

c) De quoi les femmes sont‑elles victimes ?

Question 7
a) Que remarquez‑vous concernant le registre de langue des personnages ?

b) Quelles répliques ont une dimension comique ?
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Étape 3
Préparer l'introduction et la conclusion

Question 8
Introduction • Présentez cette scène en employant les mots suivants : comédie, condition féminine, révolte, harangue, idéaux des Lumières.

Question 9
Conclusion • a) Résumez en une phrase l'enjeu de chaque mouvement.
b) Proposez une ouverture en comparant cet extrait à celui de la comédie de Marc‑Antoine Legrand, Les Amazones modernes (1727). .
Extrait de Marc-Antoine Legrand
Sur l'ile des Amazones, les femmes règnent et dictent leurs lois à des hommes filant la quenouille ou faisant des nœuds. La comédie se termine par l'irruption sur l'ile d'une armée de jeunes hommes venus chercher leurs amantes. Dans la scène finale, un pacte est conclu entre la Major des Amazones, ces dernières refusant désormais de se battre, et Léandre, chef de l'armée des hommes.

LA MAJOR. – Hé quoi ! Je n'entends de tous côtés que des soupirs. Quelle faiblesse ! Ainsi donc la République ne vit plus qu'en moi. Mais je me sens encore assez de vigueur pour en soutenir, moi seule, tous les droits. Oh ! ça, Monsieur le député, capitulons un peu ensemble.

LÉANDRE. – Vous pouvez nous dicter des lois ; toute notre armée est prête d'y souscrire, et n'a point d'autre ambition que de vivre avec vous dans une amoureuse union, que rien ne pourra jamais troubler.

CRISPIN. – Ma foi, Madame la Major, il faut se rendre à cela. Heureusement j'ai sur moi de l'encre et du papier, et je vais écrire les articles de la capitulation.

LA MAJOR. – Non, non, avec moi la parole vaut le jeu. Primo. Point de subordination entre le mari et la femme.

LÉANDRE. – Accordé.

LA MAJOR. – Secundo. Les femmes pourront étudier, avoir leurs collèges et leurs universités, et parler grec et latin.

LÉANDRE. – Accordé.

MAITRE ROBERT. – Tatigué1, que j'allons voir des docteurs féminins !

LA MAJOR. – Tertio. Elles pourront commander les armées, et aspirer aux charges les plus importantes de la justice et de la finance.

LÉANDRE. – Accordé.

LA MAJOR. –  Nous voulons qu'il soit aussi honteux pour les hommes de trahir la foi conjugale, qu'il l'a été jusqu'ici pour les femmes, et que ces messieurs ne se fassent pas une gloire d'une action donc ils nous font un crime.

CRISPIN. – Diantre ! Voilà un article que les dames ont souvent mis sur le tapis, et je crains qu'il ne soit encore débattu.

LÉANDRE. – Non, non, nous accordons tout.

LA MAJOR. – À ces conditions, vos troupes peuvent entrer ici, tambour battant, mèche allumée.
Marc‑Antoine Legrand
Les Amazones modernes, 1727, Acte III, scène 15 (extrait), orthographe modernisée.

1. Juron.
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Question 10
a) Écoutez le texte lu par une comédienne et prenez connaissance des conseils donnés en couleur dans le texte ci‑dessous.

La Colonie - Marivaux


ARTHÉNICE, après avoir toussé et craché. – L'oppression dans laquelle nous vivons sous nos tyrans, pour être si ancienne, n'en est pas devenue plus raisonnable. N'attendons pas que les hommes se corrigent d'eux‑mêmes ; l'insuffisance de leurs lois a beau les punir de les avoir faites à leur tête et sans nous, rien ne les ramène à la justice qu'ils nous doivent, ils ont oublié qu'ils nous la refusent.

MADAME SORBIN. – Aussi le monde va, il n'y a qu'à voir..

ARTHÉNICE. – Dans l'arrangement des affaires, il est décidé que nous n'avons pas le sens commun, mais tellement décidé que cela va tout seul, et que nous n'en appelons pas nous‑mêmes.

UNE DES FEMMES. – Hé ! que voulez‑vous ? On nous crie dès le berceau : vous n'êtes capables de rien, ne vous mêlez de rien, vous n'êtes bonnes à rien qu'à être sages. On l'a dit à nos mères qui l'ont cru, qui nous le répètent ; on a les oreilles rebattues de ces mauvais propos ; nous sommes douces, la paresse s'en mêle, on nous mène comme des moutons.

MADAME SORBIN. – Oh ! pour moi, je ne suis qu'une femme, mais depuis que j'ai l'âge de raison, le mouton n'a jamais trouvé cela bon.

ARTHÉNICE. – Je ne suis qu'une femme, dit Madame Sorbin, cela est admirable !

MADAME SORBIN.   Cela vient encore de cette moutonnerie.

ARTHÉNICE. – Il faut qu'il y ait en nous une défiance bien louable de nos lumières pour avoir adopté ce jargon‑là. Qu'on me trouve des hommes qui en disent autant d'eux : cela les passe. Revenons au vrai pourtant : vous n'êtes qu'une femme, dites‑vous ? Hé ! que voulez‑vous donc être pour être mieux ?

MADAME SORBIN. – Eh ! Je m'y tiens, Mesdames, je m'y tiens, c'est nous qui avons le mieux, et je bénis le ciel de m'en avoir fait participante, il m'a comblé d'honneurs, et je lui en rends des grâces nonpareilles.

UNE DES FEMMES. – Hélas ! Cela est bien juste.

ARTHÉNICE. – Pénétrons‑nous donc un peu de ce que nous valons, non par orgueil, mais par reconnaissance.

Conseils

  • Expressivité de la voix
  • Accentuation d'un ou des mot(s)

b) Entrainez‑vous à lire !
Enregistreur audio
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Traiter la question de grammaire (2 points)

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Question 11
Reformulez le passage souligné de manière à obtenir une proposition subordonnée circonstancielle, que vous analyserez.
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Résonances pour préparer la dissertation

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Une femme à la tribune : un éthos (▶ ) à construire ou à imiter ?

Question 1
a) Selon vous, Arthénice se livre‑t‑elle à une imitation de l'art oratoire jusqu'alors presque exclusivement pratiqué par les hommes ?

b) Diriez‑vous que l'œuvre de Gouges est une imitation ? Aidez‑vous de l'accompagnement à la lecture à et de .
Question 2
Quels types de textes Olympe de Gouges a‑t‑elle majoritairement publiés ? En quoi est‑ce particulièrement audacieux ?

Question 3
Arthénice, Praxagora, Lysistrata… Comment Marivaux s'inspire‑t‑il du dramaturge antique Aristophane ? Établissez la filiation théâtrale des oratrices à partir .
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« Bonnes à rien qu'à être sages »

Question 4
a) À quels endroits de l'œuvre Olympe de Gouges évoque‑t‑elle l'éducation des femmes ?

b) Est‑ce l'enjeu principal du texte ?
Question 5
En quoi l'émancipation des femmes nécessite‑t‑elle une éducation nouvelle ? Consultez et lisez , puis proposez une réponse.
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L'oppression et la tyrannie

Question 6
Dans quels passages Olympe de Gouges emploie‑t‑elle aussi ce lexique de la domination ?
Question 7
« Nos tyrans » ou nos maris ? Consultez et réalisez ou
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L'utopie féministe

Question 8
À partir de , réalisez en groupes une anthologie préfacée des meilleurs extraits de ces œuvres : La Cité des Dames (1405) de Christine de Pizan, Herland (1915) de Charlotte Perkins Gilman et son contre‑modèle The Handmaid's Tale (1985) de Margaret Atwood.
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