Je cherchai à le consoler en lui disant que son corps seul serait
dévoré, mais que son âme irait dans un lieu de délices, où il trouverait les âmes des autres hommes. Il me demanda si c'était bien vrai,
ajoutant qu'il n'avait jamais vu Dieu. Je lui promis qu'il le verrait
dans l'autre vie. Pendant la nuit il s'éleva un ouragan si violent,
qu'il endommagea les toits des cabanes. Les sauvages1
alors me
dirent en colère : « Apo Meiren geuppaw y wittu wasu immou. »
[Ils m'accusaient] d'avoir produit cet orage pour empêcher leur
fête, et sauver cet esclave parce qu'il était l'allié des Portugais. Je
priai le Ciel, qui m'avait déjà préservé si souvent, de détourner
encore cette fois leur colère. Mais le temps étant redevenu beau au
point du jour, ils s'apaisèrent et se mirent à boire. Je dis à l'esclave :
« C'est Dieu qui a excité ce grand orage et qui veut t'avoir. » Le
lendemain il fut dévoré. [...] Quand la fête fut terminée, nous nous rembarquâmes
pour retourner à notre village ; et mes maîtres emportèrent avec eux une partie de
la chair rôtie de cet esclave. [...] Le premier soir, pendant que nous construisions
une hutte pour passer la nuit, ils m'ordonnèrent d'empêcher le mauvais temps. Je
dis alors à un petit garçon qui était occupé à ronger un des os de cet esclave, où
il restait encore un peu de chair, de le jeter. Mais les sauvages s'y opposèrent, en
disant que c'était pour lui la meilleure nourriture.
Quand nous fûmes à un quart de mille2
du village, il devint impossible d'avancer, tant les vagues étaient fortes. Nous tirâmes le canot à terre, dans l'espérance
que l'orage s'apaiserait, et que nous pourrions continuer notre route le lendemain ;
cependant, voyant qu'il ne s'apaisait pas, ils se décidèrent à aller par la terre. Avant
de partir, ils mangèrent la chair qu'ils avaient apportée, et le jeune garçon acheva
de ronger son os et le jeta. Quelques instants après, le ciel commença à s'éclaircir.
« Vous voyez ! leur dis‑je, vous ne vouliez pas croire que Dieu était irrité de voir cet
enfant manger de la chair humaine ». Néanmoins ils prétendirent que c'était ma
faute, et que le temps serait resté beau s'il eût mangé sans que je m'en fusse aperçu.
Quand nous fûmes de retour au village, Alkindar Miri, un de mes maîtres,
me dit : «‑Eh bien ! tu as vu comment nous traitons nos ennemis. » Je lui répondis : « Ce n'est pas de les tuer, mais de les manger que je trouve horrible. » « C'est
notre usage, dit‑il, et nous traitons les Portugais de la même manière. » [...]
Avant mon départ, Alkindar Miri m'avait de nouveau menacé de me mettre
à mort. À mon retour, il se trouva qu'il avait été attaqué d'un mal d'yeux et était
devenu presque aveugle. Il me supplia alors de prier mon Dieu de lui rendre la
vue. Je le lui promis, à condition qu'il ne me maltraiterait plus. Il y consentit, et
heureusement pour moi il fut guéri au bout de quelques jours.
Hans Staden témoigne par ce nom des préjugés des Européens sur les Amérindiens.