Je pourrais encore amener quelques autres semblables exemples touchant la
cruauté des sauvages1 envers leurs ennemis, si ce n'était qu'il me semble que ce que
j'en ai dit est assez pour faire horreur et dresser à chacun les cheveux sur la tête.
Néanmoins, afin que ceux qui liront ces choses si horribles, exercées journellement entre ces nations barbares de la terre du Brésil, pensent aussi un peu de près
à ce qui se fait de ce côté‑ci parmi nous, je dirai en premier lieu sur cette matière,
que si on considère à bon escient2
ce que font nos gros usuriers3
(suçant le sang et
la mœlle, et par conséquent mangeant tout vivants, tant de veuves, orphelins et
autres pauvres personnes auxquelles il vaudrait mieux couper la gorge tout d'un
coup que de les faire ainsi languir4
) on dira qu'ils sont encore plus cruels que
les sauvages dont je parle. [...] De plus, si on veut en venir à l'action brutale de
mâcher et manger réellement (comme on parle) la chair humaine, ne s'en est‑il
point trouvé dans ces régions, de ce côté‑ci, voire même entre ceux qui portent
le titre de chrétiens, tant en Italie qu'ailleurs, qui, ne s'étant pas contentés d'avoir
fait cruellement mourir leurs ennemis, n'ont pu rassasier leur courage sinon en
mangeant de leur foie et de leur cœur ? Je m'en rapporte aux histoires. Et sans
aller plus loin, en France, quoi ? (Je suis français et me fâche de le dire.) Durant
la sanglante tragédie qui commença à Paris le 24 aout 15725, dont je n'accuse
point ceux qui n'en sont pas la cause : entre autres actes horribles à raconter, qui
se perpétrèrent alors par tout le royaume, la graisse des corps humains [...] ne
fut‑elle pas publiquement vendue au plus offrant et dernier renchérisseur ? Les
foies, cœurs et autres parties des corps de quelques uns ne furent‑ils pas mangés
par les furieux meurtriers, dont les enfers ont horreur ? Semblablement, après
qu'un nommé Cœur de Roi, faisant profession de la religion réformée dans la
ville d'Auxerre, fut misérablement massacré, ceux qui commirent ce meurtre ne
découpèrent‑ils pas son cœur en pièces, ne l'exposèrent‑ils pas en vente à ces
haineux, et finalement, l'ayant fait griller sur les charbons, assouvissant leur rage
comme chiens mâtins6, n'en mangèrent‑ils pas ? [...] Considérant cela, on n'abhorre7
plus tant, désormais, la cruauté des sauvages anthropophages, c'est‑à‑dire,
mangeurs d'hommes : puisqu'il y en a de tels, voire d'autant plus détestables et
pires au milieu de nous, qu'eux qui, comme il a été vu, ne se ruent que sur les
nations qui leur sont ennemies, et que ceux‑ci8 se sont plongés dans le sang de
leurs parents, voisins et compatriotes, il ne faut pas aller aussi loin que dans leur
pays, ni qu'en Amérique, pour voir des choses si monstrueuses et prodigieuses.
Léry témoigne par ce nom des préjugés des Européens sur les Amérindiens.
Personnes qui prêtent de l'argent à un taux d'intérêt supérieur au taux légal.
Le massacre de la Saint‑Barthélemy (massacre de protestants par des catholiques).
Race de chiens puissants.
Abomine, exècre.