La yourte familiale est posée sur une plate‑forme creusée dans la colline. Ils vivent à cinq dedans, avec leurs trois enfants. Dans la vallée à perte de vue, plus le tissu urbain se densifie, plus les pavillons aux toits pointus et multicolores sont nombreux. Certains ont gardé des yourtes autour. Des cabanes abritent les latrines sèches.
C'est ainsi qu'Oulan‑Bator dévore la steppe, en étendant sans fin ses « quartiers de yourtes » et leur mosaïque d'enclos. Les allées sont en terre, il n'y a pas d'eau courante, ni d'égout. Les pluies d'été creusent des ravines. Anciens nomades, ou descendants de nomades, tous se claquemurent, déterminés à ne plus bouger de leur parcelle de terre conquise à la modernité sédentaire.
Plus de la moitié de la population de la capitale de la Mongolie extérieure se loge dans des ger districts — les quartiers de yourtes. Soit près de 700 000 personnes sur 1,3 million, dans un pays de 3 millions d'habitants qui fait trois fois la taille de la France. « Ce qu'on veut, c'est bâtir une maison, mais où croyez‑vous qu'on va trouver l'argent ? », lance l'homme qui refait sa palissade. Son quartier, Khailaast, est tout au Nord de la capitale. Baasansuren a 37 ans et travaille comme chauffeur chez MCS, un conglomérat local. Voilà dix‑ans qu'il habite à Oulan‑Bator avec sa femme. […]
Tout citoyen mongol a droit à 700 m² de terre inoccupée, là où il plante son enclos — à condition de respecter certaines procédures. Cette privatisation des terres, entérinée au début des années 2000, dix ans après la démocratisation de l'ancien satellite soviétique, a favorisé l'exode vers Oulan‑Bator de dizaines de milliers de nomades (un tiers de la population du pays continue de vivre du pastoralisme). Les villes de province sont peu nombreuses et sous‑développées. Le réseau routier reste squelettique. La capitale siphonne tout à son profit. La mairie annonce toujours environ 20 000 nouveaux arrivants par an. […]
Oulan‑Bator porte les marques d'un développement éclair qui a tourné court. Immeubles de verre et boutiques de luxe ont métamorphosé le paysage urbain de l'ère soviétique. La ville du « héros rouge », Oulan‑Bator en mongol, s'est mise sur son trente‑et‑un pour accueillir, le 15 juillet, le 11e sommet Europe Asie, l'ASEM. C'était la première fois que le petit État recevait autant de chefs d'État étrangers. Mais les carcasses en béton de projets inachevés sont pléthore.