Dans cet article, le psychanalyste François Lévy explique que le mensonge est lié au langage. Il permet de se construire un espace nécessaire, singulier et intime, mais il peut également être révélateur de troubles profonds de la pensée.

Mais il s'agit surtout d'interroger l'apprentissage précoce, dès la plus tendre enfance, de la faculté de mentir et l'emploi – si commode et si répandu, par la suite – du mensonge. Ici, une fois encore, on va mettre l'accent sur la pensée, le langage, la langue, qui seront les instruments utilisés pour dissimuler, masquer, voire effacer une vérité indicible. Mais il ne faudrait pas oublier que l'usage des mots a pour fonction première de créer des liens, de lier entre eux des êtres qui cherchent à comprendre et à se faire comprendre. Ces buts supposent que la fonction de compréhension ait pu se mettre en place au cours du développement d'un individu, et il y a fort à parier que cette installation ne peut se faire qu'à l'intérieur d'un climat affectif établi, garanti et maintenu par un environnement stable, bienveillant et porteur.

Le rôle des mythes

Très tôt, chaque être humain venant au monde dans une culture rencontre des mythes fondateurs qui sont devenus a‑temporels et auxquels chacun s'affronte dans son histoire privée. S'il est difficile de croire « pour de vrai » que les bébés Remus et Romulus ont réellement été nourris à la mamelle d'une louve, il est tout aussi difficile de croire qu'Athéna est sortie tout armée du crâne (ou de la cuisse) de Zeus. Si mensongers soient‑ils, ces mythes jouent un rôle civilisateur et structurant en dessinant le cadre à l'intérieur duquel l'enfant met son mythe individuel à l'épreuve du mythe collectif. [...]

On aurait tort, cependant, de penser que tous les nourrissons parviennent à construire pour eux‑mêmes leur « mythe individuel » qu'ils pourront confronter, ensuite, aux mythes collectifs fondateurs. Certaines situations personnelles, relationnelles et familiales ne permettent pas à l'enfant d'installer en lui‑même un « appareil à penser », et de le faire se développer de telle sorte qu'il puisse discriminer ce qui est intérieur et ce qui est extérieur, et différencier aussi ce qui est vrai de ce qui est faux.