À l'occasion de la sortie de son film En liberté !, Pierre Salvadori est interrogé dans le magazine Télérama. Il explique sa conception de la comédie.
Inutile d'y aller par quatre
chemins : le meilleur auteur de
comédies en France, c'est lui.
Entendons‑nous bien, on ne
parle pas de la comédie franchouillarde
qui nivelle vers le
bas. Mais de cinéma burlesque,
sophistiqué, émouvant, qui
prend très au sérieux le genre,
sans se prendre au sérieux. De
cette gageure est née En liberté !,
la dernière création de Pierre
Salvadori. Un chassé‑croisé
ébouriffant autour d'une inspectrice
de police impétueuse
(Adèle Haenel), de son mari
défunt, flic lui aussi (Vincent
Elbaz), et d'un repris de justice
très en colère car innocent (Pio
Marmaï). [...]
Le spectateur invisible
« La comédie comporte un impératif d'efficacité : faire rire. J'essaie de
respecter ce pacte, mais en prenant des risques dans la conduite du récit.
La comédie, c'est le chaos organisé. Il faut donc un peu de savoir‑faire pour
le contrôler. Je parie sur l'intuition, l'attention, la sensibilité du spectateur.
Je préfère qu'il soit actif. Même en amont : c'est comme s'il y avait une
troisième personne autour de la table quand on écrit avec le scénariste. Je
joue constamment avec ce spectateur invisible, qui va lui‑même combler
les espaces entre les ellipses. Dans Hors de prix, par exemple, quand Audrey
Tautou, poule de luxe, boit cul sec un verre de cocktail, elle prend la petite
ombrelle dessus et la pique dans ses cheveux. Cut. Ensuite contre‑plongée
dans l'ascenseur, on voit qu'elle a huit ombrelles dans les cheveux, on
comprend donc qu'elle a bu huit verres. J'apprécie de dire les choses de
façon indirecte. Parce ce qu'elles y gagnent en poésie. »
La chute sans fin
« Comme Gustave Kervern dans Dans la cour (2014), j'ai la tentation du
retrait, du renoncement. Il manque à mes personnages le mode d'emploi
pour exister : ils se débattent avec des vents contraires. Ce sont des
outsiders, comme souvent dans la comédie : regardez Charlot, qui essaye
d'entrer dans un palace en poussant la porte tambour et qui est renvoyé
dehors… Faire de la comédie, c'est sans doute, pour moi, une manière de
ne pas prendre trop au sérieux mes angoisses.