Nous sommes au début de cette comédie en trois actes. Silvia doit se marier avec Dorante qu'elle ne connait pas. Son père, Monsieur Orgon, reçoit une lettre qui va donner un peu de piquant à la situation.
MONSIEUR ORGON. – Écoutez l'article1 de la lettre du père. Hum…
« Je ne sais au reste ce que vous pensez d'une imagination qui est venue
à mon fils ; elle est bizarre, il en convient lui‑même, mais le motif en est
pardonnable et même délicat ; c'est qu'il m'a prié de lui permettre de
n'arriver d'abord chez vous que sous la figure de son valet, qui de son côté
fera le personnage de son maître. »
MARIO. – Ah, ah ! cela sera plaisant.
MONSIEUR ORGON. – Écoutez le reste… « Mon fils sait combien
l'engagement qu'il va prendre est sérieux, et il espère, dit‑il, sous ce déguisement
de peu de durée, saisir quelques traits du caractère de notre future
et la mieux connaître, pour se régler ensuite sur ce qu'il doit faire, suivant
la liberté que nous sommes convenus de leur laisser. Pour moi, qui m'en
fie bien à ce que vous m'avez dit de votre aimable fille, j'ai consenti à
tout en prenant la précaution de vous avertir, quoiqu'il m'ait demandé le
secret de votre côté ; vous en userez là‑dessus avec la future comme vous
le jugerez à propos… » Voilà ce que le père m'écrit. Ce n'est pas le tout,
voici ce qui arrive ; c'est que votre sœur, inquiète de son côté sur le chapitre
de Dorante, dont elle ignore le secret, m'a demandé de jouer ici la même
comédie, et cela précisément pour observer Dorante, comme Dorante
veut l'observer. Qu'en dites‑vous ? Savez‑vous rien de plus particulier que
cela ? Actuellement, la maîtresse et la servante se travestissent. Que me
conseillez‑vous, Mario, avertirai‑je votre sœur ou non ?
MARIO. – Ma foi, Monsieur, puisque les choses prennent ce train‑là, je
ne voudrais pas les déranger, et je respecterais l'idée qui leur est venue à
l'un et à l'autre ; il faudra bien qu'ils se parlent souvent tous deux sous ce
déguisement, voyons si leur cœur ne les avertirait pas de ce qu'ils valent.
Peut‑être que Dorante prendra du goût pour ma sœur, toute soubrette
qu'elle sera, et cela serait charmant pour elle.
MONSIEUR ORGON. –
Nous verrons un peu comment
elle se tirera d'intrigue.
MARIO. – C'est une aventure
qui ne saurait manquer
de nous divertir, je veux me
trouver au début et les agacer
tous deux.