Peut-on vraiment faire abstraction de toutes nos déterminations pour réaliser un récit neutre de ce qu'il nous a été donné de voir ou de savoir ? La réponse est évidemment non ! Tout regard est subjectif, au sens où nous sommes entraînés par une part de nous-même lorsqu'il s'agit de porter son regard. Notre œil ne peut voir que ce qu'il sait déjà voir. Notre cerveau ne peut décrypter que ce qu'il a été préparé à pouvoir décrypter. Notre récit contient les mots que notre cerveau, mais aussi notre sensibilité, a aidé à formuler. Le choix des mots n'est jamais neutre. [...] Parlez de « territoires occupés » et on vous fera reproche d'être pro-palestinien. Usez d'un vocable moins connoté (« Cisjordanie ») et on pourra vous faire reproche de prétendre à une posture de neutralité dans un contexte où cette dernière est impossible et chacun sommé de choisir son camp.
Dans un registre plus ordinaire, le style est aussi un regard porté sur les choses. Le choix d'un adjectif qualificatif, comme son nom l'indique, qualifie et connote1. Et, bien sûr, la forme même du récit implique un enchaînement causal. La forme journalistique implique une narration, avec un enchevêtrement organisé de faits et d'acteurs mis en cohérence. Cette organisation n'est pas neutre, elle explique au moment même où elle décrit. [...]
On retrouve là les termes d'un vieux débat du XIXe siècle porté par des romanciers comme Émile Zola (journaliste à ses heures), qui prétendait que le roman était « une sorte d'écran transparent à travers lequel on aperçoit les objets plus ou moins déformés ». Et même « l'écran réaliste » fait d'un « simple verre à vitre, très fin, très clair » niant « sa propre existence », « n'en a pas moins une couleur propre, une épaisseur, teint les objets », écrivait-il en 1864.
Exprime de façon seconde, indirecte.