Dans la situation dramatique où se trouve l'humanité, nous estimons que les hommes de science devraient se réunir en conférence pour prendre
la mesure des périls créés par le développement d'armes de
destruction massive et examiner un projet de résolution
dont l'esprit serait celui du projet ci‑dessous.
Ce n'est pas au nom d'une nation, d'un continent ou d'une foi en particulier que nous prenons aujourd'hui la parole, mais en tant qu'êtres humains, en tant que représentants de l'espèce humaine dont la survie est menacée.
Les conflits abondent partout dans le monde…
Chacun d'entre nous, ou presque, pour peu qu'il soit politiquement conscient, a
des opinions bien arrêtées sur l'une ou plusieurs des questions
qui agitent le monde ; nous vous demandons toutefois de faire si
possible abstraction de vos sentiments et de vous considérer exclusivement
comme les membres d'une espèce biologique qui a derrière elle une histoire
exceptionnelle et dont aucun d'entre nous ne peut souhaiter la disparition.
Nous nous efforcerons de ne rien dire qui puisse constituer un appel à
un groupe plutôt qu'à l'autre. Tous les hommes sont également en danger,
et peut‑être, s'ils en prennent conscience, parviendront‑ils à s'y soustraire collectivement. Il nous faut apprendre à penser d'une façon nouvelle.
Il nous faut apprendre à nous demander non pas de quelle façon assurer
la victoire militaire du groupe auquel vont nos préférences, car cela n'est
plus possible, mais comment empêcher un affrontement militaire dont
l'issue ne peut qu'être désastreuse pour tous les protagonistes.
Le grand public, et beaucoup parmi ceux qui exercent le pouvoir, n'ont
pas pleinement saisi ce qu'impliquerait une guerre nucléaire. [...]
Tel est donc, dans sa terrifiante simplicité, l'implacable dilemme que nous
vous soumettons : allons‑nous mettre fin à la race humaine, ou l'humanité renoncera‑t‑elle à la guerre ? Si les hommes se refusent à envisager cette alternative, c'est qu'il est fort difficile d'abolir la guerre.