Alors, elle s'était attaquée aux rongeurs. Elle avait pensé qu'elle aurait
affaire à des souris blanches, qui la dégoûtaient moins que les grises. Mais
les bêtes qui grouillaient dans les longues cages plates n'étaient ni blanches
ni grises. C'étaient des monstres, tout simplement. Certaines étaient sans
poils, d'un rose écœurant, d'autres badigeonnées de vert, d'orange, de violet.
Plusieurs rats avaient un regard vitreux, comme si leurs yeux énormes
avaient été décolorés et vernis. Juliette se demanda un instant si la place
de telles créatures était bien dans la nature. Elle imaginait des petites filles ouvrant leur armoire et tombant nez à nez avec de telles horreurs. À vrai dire, elle n'était pas prise au dépourvu par ses scrupules. Pendant la préparation de l'action, elle avait eu souvent l'occasion d'aborder la question avec Jonathan. Elle avait bien compris que la cause animale n'a rien à voir avec l'utilité des bêtes pour les humains. « Tous les êtres vivants ont des droits, qu'ils soient beaux ou repoussants, domestiques ou sauvages, comestibles ou non. » La leçon était assimilée. Elle avait ravalé son dégoût et laissé les rats aveugles disparaître vers l'extérieur, comme les chats avant eux. Elle s'était même efforcée d'en éprouver une égale satisfaction.
Mais maintenant, c'était le tour des singes. Et ils allaient soumettre les
sentiments de Juliette à une épreuve autrement plus rude. Il y en avait cinq,
tout petits, étonnamment humains dans leur mimique et leur regard. Ceux
qui étaient enfermés deux par deux se tenaient enlacés comme de vieux
couples. Quand Juliette les libéra, ils refusèrent de sortir. Elle était tentée
d'aller les chercher au fond de leur cage mais elle se retint. S'ils l'avaient
griffée ou mordue, ils auraient pu déchirer son gant et faire couler un peu
de sang. Il ne fallait laisser aucune empreinte génétique. Elle leur laissa le
temps de se décider et alla s'occuper du dernier animal.
C'était un petit ouistiti maigre qui tenait ses longs bras croisés sur le
ventre. Son corps était intact, mais il avait, plantées dans le crâne, une
dizaine d'électrodes. Elles lui faisaient comme la couronne de plumes d'un
chef indien. Sitôt la cage ouverte, il bondit mécaniquement au‑dehors et
atterrit sur le sol carrelé de blanc. Il resta un long moment sans bouger, à
fixer la porte extérieure ouverte. Un peu de vent s'était levé et se faufilait
au ras du sol. La coiffe d'électrodes ondulait dans ce courant d'air. Juliette,
qui avait bien résisté à l'horreur des animaux repoussants, se sentit moins
assurée face à la détresse de cet être si familier.