– La vache, tout ça pour un masque à cent euros‑yens !... Je dois reconnaître qu'il a le sens de la vente et qu'il n'économise pas sa salive, apprécie Mishima.
La jeune femme déconcertée regarde à droite et à gauche :
– Je ne me suis pas trompée ?... Je suis bien au Magasin des Suicides ?
– Ouh, là là, oubliez ce mot qui ne mène nulle part.
– Pourquoi il dit ça ? fronce des yeux, le père.
– La vie est ce qu'elle est. Elle vaut ce qu'elle vaut ! Elle fait ce qu'elle peut elle aussi avec ses maladresses. Faut pas trop lui en demander non plus à la vie. De là à vouloir la supprimer ! Autant prendre tout ça du bon côté. Et puis laissez ici cette corde et ce revolver zetable. Angoissée et paniquée comme vous êtes ces temps‑ci, vous allez tirer dans le nœud coulant, ce sera n'importe quoi. C'est un coup à tomber du tabouret et se casser le zenou. Vous n'avez pas mal au zenou là ?
– J'ai mal partout.
– Oui mais au zenou ?
– Non, heu…
– Et bien à la bonne heure ! Continuez comme ça. Et que votre zenou
s'active pour vous ramener dans votre tour avec ce visage de femme sur
le masque. Si vous ne le faites pas pour moi faites‑le pour elle. Quel est son nom ?
La cliente lève les paupières vers le miroir :
– Noémie Ben Salah Darjeeling.
– C'est zoli comme prénom, Noémie... Aimé Noémie. Vous allez voir, elle
est sympa. Apportez son masque chez vous. Souriez‑lui, elle vous sourira.
Prenez soin d'elle, elle a besoin d'affection. Lavez‑la, parfumez‑la, habillez‑la zoliment, qu'elle se sente mieux dans sa peau. Tentez de l'admettre. Elle deviendra votre amie, votre confidente, et vous serez inséparables. Qu'est‑ce que vous allez rire ensemble !... Tout ça pour cent euros‑yens. Ce n'est quand même pas cher. Allez, ze l'emballe. Ze vous la confie. Prenez‑en le plus grand soin. Elle le mérite.
Pendant le bruit d'ouverture du tiroir‑caisse, Mishima regrette :
– Il aurait quand même pu lui facturer et aussi la corde et le revolver…
– Tenez, choisissez un bonbon dans le bocal, sourit Alan.
– Ah bon ils ne sont pas ?… demande la cliente.
– Mais non ! Allez, adieu, la dame qu'a même pas mal au zenou !