– Que le diable m'emporte… Cela faisait cinq années que j'étais là, à
extirper des hypophyses des cerveaux… Vous savez quel travail j'ai fait,
c'est inconcevable pour l'intelligence. Et voilà que, maintenant, la question
se pose : à quoi bon ? Pour transformer un beau jour le plus adorable des chiens en une ordure à vous faire dresser les cheveux sur la tête.
– C'est quelque chose d'extraordinaire.
– Entièrement d'accord avec vous. Voilà, docteur, ce qui arrive lorsque
le chercheur, au lieu de suivre à tâtons un chemin parallèle à celui de la
nature, viole la question et soulève le rideau : tiens, le voilà, ton Bouboulov, et bon appétit !
– Philippe Philippovitch, mais si c'était le cerveau de Spinoza ?
– Oui ! jappa Philippe Philippovitch. Oui ! À condition que le chien n'ait pas la malchance de crever sous mon bistouri. Or, vous avez vu de quel
genre d'opération il s'agissait. En un mot, moi, Philippe Transfigouratov,
je n'ai jamais rien accompli de plus difficile de ma vie. Il est possible de
greffer l'hypophyse de Spinoza ou de quelque autre farceur du même style et
de concocter à partir d'un chien un être supérieur. Mais pourquoi diable ?
Voilà la question. Expliquez‑moi, je vous prie, pourquoi l'on devrait fabriquer artificiellement des Spinoza alors que n'importe quelle bonne femme
peut en produire un n'importe quand. Après tout, la dame Lomonossov
n'a‑t‑elle pas accouché de son illustre rejeton à Kholmogory ? Docteur, l'humanité s'en occupe elle‑même, et du fait de l'évolution, produit obstinément chaque année, sur fond de toutes sortes d'ordures, des dizaines de génies transcendants, qui seront les ornements de la planète. Maintenant vous comprenez, docteur, pourquoi j'ai dénigré vos conclusions au sujet de l'histoire de la maladie de Bouboulov. Ma découverte, que vous admirez
tant, ne vaut pas un sou… Pas d'objections, Ivan Arnoldovitch, j'ai déjà
compris. Je ne parle jamais en l'air, vous le savez parfaitement.
D'un point de vue théorique, c'est intéressant. Bon, d'accord.
Les physiologistes seront fous de joie.