L'humanité ne cultivait presque plus rien en terre. Légumes, céréales, fleurs, tout cela poussait à l'usine, dans des bacs.
Les végétaux trouvaient là, dans de l'eau additionnée, des produits chimiques nécessaires, une nourriture bien plus riche et plus facile à assimiler que celle dispensée chichement1 par la marâtre2 Nature. Des ondes et des lumières de couleurs et d'intensité calculées, des atmosphères conditionnées accéléraient la croissance des plantes et permettaient d'obtenir, à l'abri des intempéries saisonni ères, des récoltes continues, du premier janvier au trente et un décembre.
L'élevage, cette horreur, avait également disparu. Élever, chérir des bêtes pour les livrer ensuite au couteau du boucher, c'étaient bien là des mœurs dignes des barbares du XXe siècle. Le « bétail » n'existait plus. La viande était « cultivée » sous la direction de chimistes spécialistes et selon les méthodes, mises au point et industrialisées, du génial précurseur Carrel, dont l'immortel cœur de poulet vivait encore au Musée de la Société protectrice des animaux. Le produit de cette fabrication était une viande parfaite, tendre, sans tendons, ni peaux ni graisses, et d'une grande variété de goûts. Non seulement l'industrie offrait au consommateur des viandes au goût de bœuf, de veau, de chevreuil, de faisan, de pigeon, de chardonneret, d'antilope, de girafe, de pied d'éléphant, d'ours, de chamois, de lapin, d'oie, de poulet, de lion et de mille autres variétés, servies en tranches épaisses et saignantes à souhait, mais encore des firmes spécialisées, à l'avant-garde de la gastronomie, produisaient des viandes extraordinaires qui, cuites à l'eau ou grillées, sans autre addition qu'une pincée de sel, rappelaient par leur saveur et leur fumet les préparations les plus fameuses de la cuisine traditionnelle, depuis le simple bœuf miroton jusqu'au civet de lièvre à la royale.