Les arbres avaient atteint leur maturité de production, mais étaient encore jeunes. Leurs branches, aussi fragiles que du verre, craquaient sous notre poids. Je grimpai avec prudence pour ne surtout rien abîmer. Je posai mon pied droit sur une branche plus élevée encore puis hissai avec circonspection1 mon pied gauche. J'avais enfin trouvé une position sûre pour travailler, inconfortable mais stable. De là, je pouvais même atteindre les fleurs les plus hautes.
Le petit récipient en plastique était rempli d'un or vaporeux minutieusement pesé et distribué également à chacune d'entre nous tous les matins. Je plongeai le plumeau dans le bac et disséminai cette précieuse poudre autour de moi. Chaque fleur devait être pollinisée à l'aide de la balayette en plumes de poule, des poules de laboratoire conçues spécifiquement pour cet usage, car l'efficacité de leur plumage était supérieure à celle de n'importe quelle fibre artificielle. Une multitude de tests avaient été menés au fil du temps : dans mon district, ce savoir-faire remontait à plus d'un siècle. Les abeilles avaient disparu dès les années 1980, bien avant l'Effondrement, tuées par les insecticides. Quelques années plus tard quand les substances en cause avaient cessé d'être utilisées, les abeilles étaient réapparues, mais la pollinisation manuelle avait déjà commencé et fournissait de meilleurs résultats, même si elle requérait un nombre de personnes – de mains – incroyable, colossal. Ainsi lorsque survint l'Effondrement, mon district avait une longueur d'avance sur ses concurrents. Notre pays avait été le plus touché par les dégradations environnementales : pionniers en matière de pollution, nous étions devenus pionniers en matière de pollinisation manuelle. Ce paradoxe nous sauva.