Tous les matins, le maître présentait les cours du jour avant de lancer le programme. La puce supplémentaire insérée dans leurs cerveaux (l'opération était comprise dans le forfait) plaçait les élèves dans un état de réceptivité absolue proche de l'hypnose. Le flot d'informations, images et sons, déferlait pendant une vingtaine de minutes, puis maître Moda donnait des exercices qui, tout en validant les connaissances, sollicitaient la mémoire, la logique, l'esprit d'analyse et de synthèse. C'était à cette occasion que se gagnaient ou se perdaient les places à l'évaluation hebdomadaire. Si elle n'était pas la meilleure dans la résolution des problèmes mathématiques ou dans l'apprentissage des langues vivantes, Emna montrait une efficacité inégalable en histoire et en sciences physiques. De même elle marquait de nombreux points avec les versions et les thèmes des langues mortes. Pour le reste, francais, économie, sociologie, arts plastiques, musique, elle se maintenait dans la moyenne haute.
« Tes parents et moi sommes très contents de toi, Emna. »
Le visage de maître Moda s'était affiché dans la fenêtre de l'écran. L'icône symbolisant la classe avait disparu, signe que cette conversation se déroulait dans la plus stricte intimité.
« À quoi bon ? lança‑t‑elle avec une moue. Nous n'aurons pas fini le cycle avant Noël. »
Elle guetta une éventuelle réaction sur les traits de son interlocuteur, mais, comme d'habitude, maître Moda restait parfaitement impénétrable. Il n'exprimait aucune émotion humaine tout simplement parce qu'il n'était pas humain. « De mon temps, les profs étaient de chair et d'os » radotait papa. [...]
« Je m'ennuie dans cette classe. Je voudrais commencer les cours de philo.
– Est‑ce toi qui t'ennuies ou bien un élément extérieur qui te perturbe ? » Difficile de cacher ses sentiments au maître. Papa avait expliqué que le programme, expert en morphopsychologie, devinait les pensées de ses interlocuteurs rien qu'en observant les mouvements de leur visage. Emna s'appliquait à rester impassible, à ne rien dévoiler d'elle‑même, mais, tôt ou tard, elle s'oubliait, elle perdait le contrôle et redevenait ce livre ouvert dans lequel maître Moda pouvait piocher à loisir. « Joao… »
« Je trouve pour ma part que Joao a progressé de manière spectaculaire.
– Il nous retarde, insista Emna. Je ne suis pas la seule à le penser. Les autres m'ont chargée de vous le dire. »