Dites-moi si, selon vous, il est encore temps d'agir ou si l'on se réveille décidément trop tard.
Les deux ! Il est trop tard et, en même temps, il n'est jamais trop tard. Pour l'enfant qui est mort de faim, oui, il est trop tard. En revanche, il n'est pas trop tard pour que d'autres enfants puissent survivre si nous le voulons de tout notre cœur. Les choix décisifs et radicaux des humains doivent être éclairés. Sous le prétexte que le monde est en train de se détruire, faut-il se croiser les bras et ne plus rien faire ? Évidemment non ! Face à un incendie, les pompiers tentent d'éteindre le feu jusqu'à la dernière flammèche, même si le bâtiment a entièrement brûlé. D'où la métaphore du colibri qui me tient tant à cœur, et qui a inspiré la création du mouvement du même nom, invitant chacune et chacun d'entre nous à faire sa part pour construire un monde plus satisfaisant pour la raison, le cœur et l'esprit. Cette légende amérindienne raconte ceci : alors qu'un immense feu ravage la forêt, et tandis que tous les animaux assistent impuissants à ce désastre, un petit oiseau va recueillir dans son bec quelques gouttes d'eau et les verse au dessus des flammes. Un tatou lui demande alors : « Mais pourquoi fais-tu cela ? Tu vois bien que ça ne sert à rien ! » Et le colibri lui répond : « Peut-être, mais je fais ma part. » Moi aussi, je veux faire ma petite part, je refuse de renoncer parce que je me dis qu'il n'est jamais trop tard. Le non-renoncement est l'expression de la liberté. [...]
Les écologistes sont souvent accusés d'être hostiles au progrès. Est-ce le cas ?
Nous sommes toujours dans les mêmes malentendus. Qu'est-ce que le progrès ? Le progrès vers quoi ? Aucun concept suffisamment clair ne définit ce vocable qui occupe un espace important dans l'imaginaire collectif. Le progrès est, pour moi, l'étalon universel qui permet d'évaluer l'état d'avancement des nations dans leur évolution vers un idéal. Alors suis-je hostile au fait qu'il y ait de plus en plus de voitures ? Oui, je suis hostile à ce prétendu progrès, car c'est la prolifération1 du négatif. Je suis aussi hostile à la fabrication d'armes. Le vrai progrès exalte la vie et nous donne du bonheur, un vrai bonheur d'exister. Un véritable progrès – j'en reviens à mon obsession – consisterait à ce que chaque enfant, à la naissance, ait de quoi manger et être soigné.