Ne pas céder au désespoir. Verra surnagea, veillant à ne pas se laisser entraîner vers le maelstrom mou dont elle venait de triompher. Ses forces récupérées, elle adopta une brasse lente et profonde pour se diriger vers le rivage. Une première bouteille de plastique lui chatouilla le menton. À mesure qu'elle avançait, des déchets de toutes sortes, flottant à quelques centimètres au‑dessous de la surface, s'amassèrent autour de son corps. Fragments de bois, sacs méduses, papiers poulpes, cadavres de tortues, de poissons, épaves innombrables de la consommation formaient un conglomérat¹ hétéroclite, coagulé par des morceaux de plastique déchiquetés si menu qu'ils ressemblaient à du plancton. Cet ignoble magma opposait une résistance obstinée à ses mouvements. Malgré cette difficulté, elle persévéra, progressant avec lenteur. Jusqu'au moment où la couche de détritus devint si épaisse qu'elle décida de s'y poser. De s'y reposer.

Jamais, avec ses compagnons d'infortune, elle n'avait imaginé que les abords de Dump Island se reconstituaient si rapidement dans l'océan Pacifique. Bien longtemps après que les promoteurs du Paquebot immobile l'eurent revendiquée afin d'obtenir le statut de continent indépendant. Après une guerre juridique interminable, l'ONU avait fini par la leur concéder sous l'influence de lobbies extrêmement opaques. Véra pensait qu'après l'avoir terraformée, ses constructeurs auraient conçu le moyen de détourner des déchets du monde entier qui s'y accumulaient. Mais ces rejets d'une consommation effrénée, attirés par un tropisme² inexplicable, persistaient à se concentrer en ce point particulier. Pour former une résurrection dérisoire de la Pangée³.

Remise de sa fatigue, elle s'essaya à marcher comme Jésus à la surface des eaux, sauf qu'elle était portée par l'épaisse couche de détritus. Ce qui lui redonna l'espoir d'arriver à ses fins. Bien que parfois l'un de ses pieds traversât une strate moins dense, plongeant dans l'océan‑poubelle, la contraignant à se redresser au prix d'efforts pénibles afin de poursuivre son chemin. Terriblement affaiblie par les épreuves qu'elle subissait, écœurée par l'odeur insalubre qui se dégageait des fondrières marines, il lui sembla qu'à mesure qu'elle avançait le Paquebot reculait et que sa mémoire s'effilochait.