L'esprit n'est au fond que de la mécanique, une machine aveugle et froide en raison même de son extraordinaire complexité qui lui impose de tout appréhender, tout contrôler et sans cesse accroître l'ingérence et la terreur. Entre la vie et la machine, il y a tout le mystère de la liberté, que l'homme ne peut atteindre sans mourir et que la machine transcende1 sans accéder à la conscience. Ati n'était pas libre et ne le serait jamais mais, fort seulement de ses doutes et de ses peurs, il se sentait plus vrai qu'Abi, plus grand que la Juste Fraternité et son tentaculaire Appareil, plus vivant que la masse inerte et houleuse des fidèles, il avait acquis la conscience de son état, la liberté était là, dans la perception que nous ne sommes pas libres mais que nous possédons le pouvoir de nous battre jusqu'à la mort pour l'être. Il lui paraissait évident que la vraie victoire est dans les combats perdus d'avance mais menés jusqu'au bout. En vertu de cela, il comprit que la mort qui le frapperait serait sienne et non celle de l'Appareil, elle découlerait de sa volonté, de sa révolte intérieure, elle ne serait jamais la sanction d'une déviation, d'un manquement aux lois du Système. L'Appareil peut le détruire, l'effacer, il pourrait le retourner, le reprogrammer et lui faire adorer la soumission jusqu'à la folie, il ne pourra lui enlever ce qu'il ne connaît pas, n'a jamais vu, jamais eu, n'a jamais reçu ni donné, que pourtant il hait par‑dessus tout et traque sans fin : la liberté. Il le savait, comme l'homme sait que la mort est la fin de la vie – cette chose insaisissable par essence est son désaveu et sa fin, mais elle est aussi sa justification – , le Système n'ayant d'autre finalité que d'empêcher la liberté d'apparaître, d'enchaîner les hommes et de les tuer, son intérêt le commande mais c'est aussi la seule jouissance qu'il peut tirer de sa misérable existence. L'esclave qui se sait esclave sera toujours plus libre et plus grand que son maître, fût‑il le roi du monde.