« Voulez‑vous me faire visiter ? J'aimerais me familiariser dès que possible avec le fonctionnement global de votre organisation. » Tandis qu'ils longeaient les enfilades de bureaux éclairés et résonnant d'activité, Anderton
déclara : « Naturellement, le postulat fondamental de Précrime ne vous est
pas inconnu ? Je présume que nous pouvons partir de ce principe.
– Je ne sais que ce qui est à la disposition du public, répondit Witwer1.
Avec l'aide de vos mutants précogs2, vous avez audacieusement et efficacement aboli le système punitif post‑crime fondé sur l'emprisonnement
et l'amende. Comme nous le savons tous, la perspective du châtiment n'a
jamais été très dissuasive ; quant aux victimes, une fois mortes, elles n'en
retiraient guère de réconfort. »
Ils étaient arrivés devant l'ascenseur. Tandis que la cabine les emportait à toute allure dans les profondeurs du bâtiment, Anderton reprit :
« L'inconvénient fondamental, du point de vue juridique, inhérent à la
méthodologie de Précrime ne vous a probablement pas échappé non plus.
Nous arrêtons des individus qui n'ont nullement enfreint la loi.
– Mais qui vont le faire, affirma Witwer avec conviction.
– Justement, non, par bonheur… puisque nous les arrêtons avant qu'ils
puissent commettre un quelconque acte de violence. Donc, l'acte criminel proprement dit ne relève strictement que de la métaphysique3. C'est
nous qui proclamons ces gens coupables. Eux se prétendent éternellement
innocents. Et en un sens, ils sont innocents. »
Quittant l'ascenseur, ils empruntèrent à nouveau un couloir éclairé par
une lumière jaune. « Notre société ne connaît plus le crime grave, poursuivit Anderton, mais nous avons tout de même un camp de détention peuplé de criminels potentiels. »
Ils franchirent une série de portes et se retrouvèrent dans le bâtiment
d'analyse. Devant eux se dressaient d'imposants entassements de machines
– récepteurs de données et calculateurs chargés d'étudier puis de restructurer les informations qui leur parvenaient. Derrière elles se tenait les trois mutants qui disparaissaient presque dans un fouillis de câbles.