Des noms des organisations, des groupes de gens, des doctrines, des
pays, des institutions, des édifices publics, étaient toujours abrégés en
une forme familière, c'est‑à‑dire en un seul mot qui pouvait facilement
se prononcer et dans lequel l'étymologie était gardée par un minimum de
syllabes. Ces abréviations n'avaient pas seulement pour but d'économiser
le temps. Même dans les premières décennies du XXesiècle, les mots et phrases télescopés avaient été l'un des traits caractéristiques de la langue politique, et l'on avait remarqué que, bien qu'universelle, la tendance à employer de telles abréviations était plus marquée dans les organisations et
dans les pays totalitaires. Ainsi les mots : Gestapo, Comintern, Imprecorr,
Agitprop. Mais cette habitude, au début, avait été adoptée telle qu'elle se
présentait, instinctivement. En novlangue, on l'adoptait dans un dessein
conscient.
On remarqua qu'en abrégeant ainsi un mot, on restreignait et changeait subtilement sa signification, car on lui enlevait les associations qui,
autrement, y étaient attachées. Les mots « communisme international »,
par exemple, évoquaient une image composite : Universelle fraternité
humaine, drapeaux rouges, barricades, Karl Marx, Commune de Paris,
tandis que le mot « Comintern » suggérait simplement une organisation
étroite et un corps de doctrine bien défini. Il se référait à un objet presque
aussi reconnaissable et limité dans son usage qu'une chaise ou une table.
Comintern est un mot qui peut être prononcé presque sans réfléchir tandis
que Communisme International est une phrase sur laquelle on est obligé
de s'attarder, au moins momentanément. [...]
Mis à part la précision du sens, l'euphonie, en novlangue, dominait toute
autre considération. Les règles de grammaire lui étaient toujours sacrifiées
quand c'était nécessaire. Et c'était à juste titre, puisque ce que l'on
voulait obtenir, surtout pour des fins politiques, c'étaient des mots abrégés et courts, d'un sens précis, qui pouvaient être rapidement prononcés et éveillaient le
minimum d'écho dans l'esprit de celui qui parlait.