Dans un monde futuriste, la mort n'est plus définitive : on peut sauvegarder la conscience et les souvenirs sur une pile pour les réimplanter dans un nouveau corps. Takeshi Kovacs, héros du roman, est habitué à cette implantation car il fait partie des forces spéciales.
Pendant la douche, j'ai évacué le stress en sifflant un air atonal et j'ai promené le savon et les mains sur mon nouveau corps. Mon enveloppe avait
dans les quarante ans, un corps standard du Protectorat, taillé comme un
nageur, avec un système nerveux amélioré de classe militaire. Un neurachem1,
sans doute. J'en avais déjà eu un. Une certaine gêne au niveau des poumons
indiquait une accoutumance à la nicotine et j'avais de belles cicatrices sur
l'avant-bras mais, à part ça, je n'avais pas à me plaindre. Les petits dérèglements vous rattrapent plus tard et, si vous êtes sage, vous apprenez à vivre avec. Chaque enveloppe a son histoire. Si elle vous dérange, faites la queue chez Syntheta ou Fabrkon.
J'ai porté ma part d'enveloppes synthétiques ; on s'en sert souvent pour
les audiences de conditionnelle. Pas cher, mais elles donnent l'impression
de vivre seul dans une maison pleine de courants d'air. En plus, les circuits
du goût ne sont jamais réglés correctement. Tout ce que vous mangez a un
goût de curry à la sciure.
Dans la cabine, j'ai trouvé un costume d'été plié sur la banquette, ainsi
qu'un miroir accroché au mur. Sous la pile de vêtements se trouvait une
simple montre en acier et sous la montre une enveloppe avec mon nom écrit
dessus. J'ai retenu mon souffle et je me suis tourné vers le miroir.
C'est toujours le plus dur. Vingt ans que je fais ça et, pourtant, lever les
yeux vers un miroir et voir un total inconnu me regarder en retour est toujours un sacré choc. C'est comme visualiser un autostéréogramme2. Durant
les premières secondes, on ne voit qu'un étranger
qui vous dévisage derrière la fenêtre. Puis, en faisant
le point, on se sent flotter derrière le masque et y
adhérer avec un choc presque physique…
C'est comme si quelqu'un coupait un cordon ombilical
mais, au lieu de vous séparer, c'est l'autre qui se
fait éliminer et vous finissez seul devant votre reflet.
Nom donné aux enveloppes corporelles améliorées dans le roman.