Si l'amour de ces îles doit être mon lot
loin de la corruption mon âme s'envole.
Mais ils avaient commencé à m'empoisonner l'âme
avec leur grosse maison, grosse bagnole et bohbohl,
couli1, négro, Syrien et Français créole,
alors je le leur laisse, à eux et leur carnaval –
je m'fais un plongeon dans la mer, et puis en route.
Je connais ces îles de Monos à Nassau,
matelot au crâne rouille et aux yeux glauques
on m'appelle Chabin2, le surnom en patois
de tous les nègres rouges, et moi, Chabin, j'ai vu
ces taudis de l'empire quand ils étaient un paradis.
Je ne suis qu'un nègre rouge qui aime la mer,
j'ai reçu une solide éducation coloniale,
j'ai du Hollandais en moi, du nègre, et de l'Anglais,
et soit je ne suis personne, soit je suis une nation [...]
Pendant mon travail, regardant les vagues pourrissantes
s'écarter à la proue qui découpe la mer comme soie,
je vous jure à tous, par le lait de ma mère,
par les étoiles qui jailliront du fourneau de la nuit,
que je les aimais mes enfants, ma femme, mon foyer ;
je les aimais, comme les poètes aiment la poésie
qui les tue, comme aiment la mer les marins noyés.
Avez-vous jamais, levant les yeux d'une grève isolée,
aperçu un schooner3 au loin ? Eh bien, quand j'écrirai
ce poème, chaque phrase sera trempée de sel ;
je tirerai et nouerai chaque vers aussi serré
que les cordes de ce gréement ; en discours simple
mon langage ordinaire sera le vent,
mes pages les voiles du schooner Flight.
Mais laissez-moi vous conter le commencement.