La république de Gilead, fondée par des fanatiques
religieux, a réduit au rang d'esclaves sexuelles les
femmes fertiles. Defred, « servante écarlate » parmi
d'autres, est au service de son commandant et de son
épouse, Serena Joy. Elle lutte pour ne pas oublier le
temps d'avant.
Serena Joy en a assez des informations.
Avec impatience elle appuie sur le bouton pour changer de chaîne, tombe sur
un baryton‑basse1 vieillissant, les joues pareilles à des pis vidés. Il chante
Murmures d'espoir. Serena le coupe.
Nous attendons, la pendule du vestibule tictaque, Serena allume une
autre cigarette, je monte dans la voiture. C'est un samedi matin, c'est
septembre, nous avons encore une voiture. D'autres gens ont dû vendre
la leur. Je ne m'appelle pas Defred, j'ai un autre nom, dont personne ne se
sert maintenant parce que c'est interdit. Je me dis que ça n'a pas d'importance, un prénom, c'est comme son propre numéro de téléphone, cela ne
sert qu'aux autres. Mais ce que je me dis est faux, cela a de l'importance. Je
garde le savoir de ce nom comme quelque chose de caché, un trésor que je
reviendrai déterrer, un jour. Je pense à ce nom comme à quelque chose qui
serait enfoui. Ce nom a une aura, comme une amulette, un talisman qui
a survécu à un passé si lointain qu'on ne peut l'imaginer. Je suis allongée
dans mon lit à une place la nuit, les yeux fermés, et ce nom flotte derrière
mes paupières, légèrement hors d'atteinte, resplendissant dans le noir.
C'est un samedi matin de septembre, je porte mon nom resplendissant.
La petite fille qui est morte à présent est assise sur le siège arrière, avec
ses deux plus belles poupées, et son lapin en peluche, galeux de vieillesse
et d'amour. Je connais tous les détails. Ce sont des détails sentimentaux,
mais je n'y peux rien. Pourtant, je ne peux pas trop penser au lapin, je ne
peux pas me mettre à pleurer ici sur le tapis de Chine, en aspirant la fumée
qui a passé par le corps de Serena. Pas ici, pas maintenant, je pourrai faire
cela plus tard.