Il tourne sur lui-même, hagard, va vers le miroir.
CALIGULA1, des bruits d'armes […] – C'est l'innocence qui prépare son triomphe. Que ne suis‑je à leur
place ! J'ai peur. Quel dégoût, après avoir méprisé les
autres, de se sentir la même lâcheté dans l'âme. Mais
cela ne fait rien. La peur non plus ne dure plus. Je vais
retrouver ce grand vide où le cœur s'apaise.
Il recule un peu, revient vers le miroir. Il semble plus
calme. Il recommence à parler, mais d'une voix plus basse
et plus concentrée.
Tout a l'air si compliqué. Tout est si simple pourtant.
Si j'avais eu la lune, si l'amour suffisait, tout serait
changé. Mais où étancher cette soif ? Quel cœur, quel
dieu aurait pour moi la profondeur d'un lac ? (S'agenouillant et pleurant.) Rien dans ce monde, ni dans
l'autre, qui soit à ma mesure. Je sais pourtant, et tu le
sais aussi (il tend les mains vers le miroir en pleurant),
qu'il suffirait que l'impossible soit. L'impossible !
Je l'ai cherché aux limites du monde, aux confins de
moi-même. J'ai tendu mes mains, (criant :) je tends
mes mains et c'est toi que je rencontre, toujours toi
en face de moi, et je suis pour toi plein de haine.
Je n'ai pas pris la voie qu'il fallait, je n'aboutis à rien.
Ma liberté n'est pas la bonne. Hélicon2 ! Hélicon ! Rien ! Rien encore. Oh ! Cette nuit est lourde ! Hélicon ne viendra pas : nous serons coupables à jamais ! Cette nuit est lourde comme la douleur humaine.
Des bruits d'armes et des chuchotements s'entendent en coulisse. [...] Le miroir
se brise et, dans le même moment, par toutes les issues, entrent les conjurés en
armes. Caligula leur fait face avec un rire fou. Le vieux patricien le frappe dans
le dos, Chéréa en pleine figure. Le rire de Caligula se transforme en hoquets.
Tous frappent. Dans un dernier hoquet, Caligula, riant et râlant hurle :
CALIGULA – Je suis encore vivant !