Acte II, Scène 5
ANDROMAQUE, HECTOR, PRIAM, DEMOKOS, HÉLÈNE.
Il [Hector]
se place au pied des portes.
HECTOR. – Ô vous qui ne nous entendez pas, qui ne nous voyez pas, écoutez ces paroles, voyez ce cortège. Nous sommes les vainqueurs. Cela vous est bien égal, n'est-ce pas ? Vous aussi vous l'êtes. Mais, nous, nous sommes les vainqueurs vivants. C'est ici que commence la différence. C'est ici que j'ai honte. Je ne sais si dans la foule des morts on distingue les morts vainqueurs par une cocarde. Les vivants, vainqueurs ou non, ont la vraie cocarde, la double cocarde. Ce sont leurs yeux. Nous, nous avons deux yeux, mes pauvres amis. Nous voyons le soleil. Nous faisons tout ce qui se fait dans le soleil. Nous mangeons. Nous buvons... Et dans le clair de lune !... Nous couchons avec nos femmes... Avec les vôtres aussi...
DEMOKOS. – Tu insultes les morts, maintenant ?
HECTOR. – Vraiment, tu crois ?
DEMOKOS. – Ou les morts, ou les vivants.
HECTOR. – Il y a une distinction...
PRIAM. – Achève, Hector... Les Grecs débarquent...
HECTOR. – J'achève... Ô vous qui ne sentez pas, qui ne touchez pas, respirez cet encens, touchez ces offrandes. [...] Ce que j'ai à vous dire aujourd'hui, c'est que la guerre me semble la recette la plus
sordide1 et la plus hypocrite pour égaliser les humains et je n'admets pas plus la mort comme châtiment ou comme
expiation2 au lâche que comme récompense aux vivants. Aussi qui que vous soyez, vous absents, vous inexistants, vous oubliés, vous sans occupation, sans repos, sans être, je comprends en effet qu'il faille en fermant ces portes excuser près de vous ces déserteurs que sont les survivants, et ressentir comme un privilège et un vol ces deux biens qui s'appellent, de deux noms dont j'espère que la résonance ne vous atteint jamais, la chaleur et le ciel.