Acte I, scène 3
ANDROMAQUE, HECTOR
HECTOR. – Pour quelle raison ? Est-ce l'âge ? Est-ce simplement cette fatigue du métier dont parfois l'ébéniste sur son pied de table se trouve tout à coup saisi, qui un matin m'a accablé, au moment où penché sur un adversaire de mon âge, j'allais l'achever ? Auparavant ceux que j'allais tuer me semblaient le contraire de moi-même. Cette fois j'étais agenouillé sur un miroir. Cette mort que j'allais donner, c'était un petit suicide. Je ne sais ce que fait l'ébéniste dans ce cas, s'il jette sa varlope1, son vernis, ou s'il continue... J'ai continué. Mais de cette minute, rien n'est demeuré de la résonance parfaite. La lance qui a glissé contre mon bouclier a soudain sonné faux, et le choc du tué contre la terre, et, quelques heures plus tard, l'écroulement des palais. Et la guerre d'ailleurs a vu que j'avais compris. Et elle ne se gênait plus... Les cris des mourants sonnaient faux... J'en suis là.
ANDROMAQUE. – Tout sonnait juste pour les autres.
HECTOR. – Les autres sont comme moi. L'armée que j'ai ramenée hait la guerre.
ANDROMAQUE. – C'est une armée à mauvaises oreilles.
HECTOR. – Non. Tu ne saurais t'imaginer combien soudain tout a sonné juste pour elle, voilà une heure, à la vue de Troie. Pas un régiment qui ne se soit arrêté d'angoisse à ce concert. Au point que nous n'avons osé entrer durement par les portes, nous nous sommes répandus en groupe autour des murs... C'est la seule tâche digne d'une vraie armée : faire le siège paisible de sa patrie ouverte.
ANDROMAQUE. – Et tu n'as pas compris que c'était là la pire fausseté ! La guerre est dans Troie, Hector ! C'est elle qui vous a reçus aux portes. C'est elle qui me donne à toi ainsi désemparée, et non l'amour.
HECTOR. – Que racontes-tu là ?
ANDROMAQUE. – Ne sais-tu donc pas que Pâris2 a enlevé Hélène3 ?
HECTOR. – On vient de me le dire... Et après ?
ANDROMAQUE. – Et que les Grecs la réclament ? Et que leur envoyé arrive aujourd'hui ? Et que si on ne la rend pas, c'est la guerre ?
HECTOR. – Pourquoi ne la rendrait-on pas ? Je la rendrai moi-même.
ANDROMAQUE. – Pâris n'y consentira jamais.