La taille de pierre, qui m'était totalement inconnue, m'a
cueillie. J'ai compris que l'esprit de chantier, le travail au
grand air et ce clan fondé sur des valeurs d'entraide, de
transmission et de dignité me correspondaient. À dix-sept
ans, j'ai trouvé une famille de cœur et à partir de là, j'ai tout
mis en œuvre pour m'y faire une place. Sachant que même
avec des talents indéniables d'experte ès Lego Technic, cela
n'était pas gagné puisque j'étais une femme. En 1994, l'année
où on inaugurait un tunnel de trente-huit kilomètres sous
la Manche, il existait encore en France des structures qui
fermaient une partie de leur formation professionnelle aux
personnes munies de deux chromosomes X. Les Compagnons
du Devoir en faisaient partie, puisque le tour de France, qui
permettait à un apprenti d'être adopté, n'était pas ouvert aux
femmes. Niveau challenge, j'allais être servie.
Je me suis battue, je n'ai jamais baissé les bras, je n'ai jamais
accepté les explications toutes faites, les traditions ancestrales
qui justifiaient le statu quo et l'exclusion. Encore moins dans
une institution qui mettait un point d'honneur à porter des
valeurs de dignité et de respect de l'autre. Dix ans plus tard,
j'étais l'une des trois premières femmes adoptées chez les
Compagnons, comme tailleure de pierre. En 2007, j'étais la
première femme reçue Compagnon.