Créée en 1969, la pièce d'Aimé Césaire
Une tempête s'inscrit dans le contexte du combat des Noirs-américains pour l'égalité des droits civiques. Adaptée de
La Tempête de William Shakespeare, elle met en scène la révolte de Caliban, esclave de Prospero, le colonisateur blanc.
CALIBAN. – Je dis Uhuru1 !
PROSPERO. – Encore une remontée de ton langage barbare. Je t'ai déjà dit que je n'aime pas ça. D'ailleurs, tu pourrais être poli, un bonjour ne te tuerait pas !
CALIBAN. – Ah ! J'oubliais... Bonjour. Mais un bonjour autant que possible de guêpes, de crapauds, de pustules et de fiente. Puisse le jour d'aujourd'hui hâter de dix ans le jour où les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre se rassasieront de ta charogne !
PROSPERO. – Toujours gracieux je vois, vilain singe ! Comment peut-on être si laid !
CALIBAN. – Tu me trouves laid, mais moi je ne te trouve pas beau du tout ! Avec ton nez crochu, tu ressembles à un vieux vautour !
(Il rit) Un vieux vautour au cou pelé !
PROSPERO. – Puisque tu manies si bien l'invective2, tu pourrais au moins me bénir de t'avoir appris à parler. Un barbare ! Une bête brute que j'ai éduquée, formée, que j'ai tirée de l'animalité qui l'engangue3 encore de toute part !
CALIBAN. – D'abord ce n'est pas vrai. Tu ne m'as rien appris du tout. Sauf, bien sûr à baragouiner4 ton langage pour comprendre tes ordres : couper du bois, laver la vaisselle, pêcher le poisson, planter les légumes, parce que tu es bien trop fainéant pour le faire. Quant à ta science, est-ce que tu me l'as jamais apprise, toi ? Tu t'en es bien gardé ! Ta science, tu la gardes égoïstement pour toi tout seul, enfermée dans les gros livres que voilà.
PROSPERO. – Sans moi, que serais-tu ?
CALIBAN. – Sans toi ? Mais tout simplement le roi ! Le roi de l'île ! Le roi de mon île, que je tiens de Sycorax, ma mère.
1. Mot swahili signifiant « liberté ».
2. Injure, insulte.
3. Entouré comme d'une gangue, d'une écorce.
4. Mal parler.